ANALYSES

Oui, Hollande doit aller à Kinshasa

Presse
27 août 2012
Pascal Boniface - Libération
Le sommet des chefs d’Etat de la francophonie doit se tenir à Kinshasa les 13 et 14 octobre. François Hollande doit-il s’y rendre ou le boycotter ?

Quelques voix s’élèvent pour demander que le président de la République s’abstienne d’y participer. Se rendre à Kinshasa reviendrait à conforter le régime de Joseph Kabila. Ce dernier a été réélu à la tête de la République démocratique du Congo (RDC) en décembre 2011, dans des conditions largement contestées par les observateurs extérieurs y compris ceux de la francophonie. Kabila est tellement isolé que seul Robert Mugabe, lui-même quasi-paria sur le plan international et qui a mis le Zimbabwe en coupe réglée et en faillite, a assisté à sa cérémonie d’investiture. Qualifiée de scandale géologique tellement le pays est riche en ressources minières, la RDC est pourtant dans une situation économique catastrophique, depuis, il est vrai, assez longtemps, du fait d’une gouvernance déplorable. Le pays est également victime d’une guerre civile sur fond d’ingérence extérieure qui est le contrecoup du génocide rwandais. Les droits de l’homme y sont bafoués. Si l’on veut tourner la page de la Françafrique, «il faut faire un geste fort et refuser de faire le déplacement chez Kabila», plaident les partisans du boycott.


Cette posture a le mérite de la simplicité et d’être facilement vendable aux opinions. Elle n’a pas celui de l’efficacité. Le débat sur la présence ou non du chef de l’Etat français à Kinshasa montre les limites des approches manichéennes, où le souci de faire des coups de communication l’emporte sur le désir de modifier et d’améliorer les situations réelles. Si on veut améliorer la situation en RDC, il faut au contraire se rendre au sommet de la francophonie.


Isoler un peu plus le régime de Kabila risque de conforter la frange la plus radicale de ses partisans. Il est préférable de s’y rendre, d’en profiter pour prononcer des paroles fortes sur la francophonie, la diversité culturelle et les liens de la francophonie avec la démocratie, et d’avoir des entretiens avec les représentants de la société civile et les membres de l’opposition. C’est la meilleure façon de faire bouger les lignes. La tentation du boycott – qui devient une réponse toute faite pour faire face à des situations politiques compliquées et diverses – n’est pas adaptée. La politique de la chaise vide ne paye plus. Elle pénalise celui qui la pratique et non celui qui la subit. Elle est encore moins efficace si elle est conduite de façon isolée et non le fruit d’une action collective de la communauté internationale.


Il n’est pas interdit par ailleurs de réfléchir aux moyens, car ce sont des buts légitimes, de promouvoir la francophonie et préserver les intérêts de la France. La francophonie fait non seulement partie des atouts de la France, mais elle permet également de développer des coopérations utiles à tous les membres. On insiste beaucoup plus qu’avant sur le respect des droits humains, sur la bonne gouvernance. En ne se rendant pas à Kinshasa, François Hollande perdrait l’occasion unique de contacts avec nombre de ses pairs et partenaires, et affaiblirait la francophonie.


Du fait de la crise à Madagascar en 2010, le sommet prévu dans ce pays avait été annulé ; il n’y en a pas eu en Afrique depuis 2004. On ne peut pas dire que l’on peut développer un dialogue d’égal à égal avec le continent africain si nous donnons le sentiment que nous le pensons incapable d’organiser un tel sommet. On notera que le président Abdou Diouf, dont la crédibilité lorsqu’il s’agit de parler de démocratie et d’Afrique est indéniable, plaide pour le maintien du sommet de Kinshasa.


Dans la mesure où aucune autre ville n’a été proposée pour tenir le sommet, il pourrait paraître curieux que le président de la France n’assiste pas à cette réunion. Mettre fin à la Françafrique ne signifie pas, contrairement à ce que certains pourraient espérer, renoncer à une politique en Afrique.


La France, qui préside le Conseil de sécurité, doit également mettre la situation du Kivu au programme. Tant que ce conflit ne sera pas réglé, la RDC ne pourra pas se développer et profiter de ses richesses géologiques. On ne peut s’attaquer à ce problème en boycottant le sommet.


Le choix est assez clair. Il s’agit soit de prendre une position de boycott confortable médiatiquement (à court terme, c’est la plus facile), soit de suivre le chemin plus compliqué de participer, en étant conscient des difficultés, sans illusions sur des solutions miracles immédiates, mais en sachant qu’à long terme c’est celle qui permet de concilier à la fois l’intérêt de la RDC et de sa population, de la francophonie et des marges de manœuvre de la France.

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