ANALYSES

Ce qui se joue derrière le regain de tensions entre la Turquie et la Syrie

Presse
7 octobre 2012
Tribune de [Alican Tayla->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=tayla], chercheur à l’IRIS

Nous sommes rentrés dans une nouvelle étape de la crise syrienne, le 3 octobre dernier, lorsqu’un obus lancé depuis le territoire syrien (et dont l’origine n’est pas certaine) a causé la mort de cinq personnes (une mère et ses quatre enfants), côté turc. La riposte immédiate ordonnée par Ankara consistant en des frappes ciblées dans le nord de la Syrie signifie, du moins symboliquement, l’éventuel premier épisode d’un conflit qui deviendrait un conflit armé en quittant désormais le seul terrain diplomatique. Cette riposte turque a d’ailleurs pris la forme de bombardements tactiques visant des cibles militaires du gouvernement syrien, alors que ce dernier a insinué que les forces rebelles seraient responsables du tir d’artillerie.


Pourtant, malgré les apparences et le vote à l’Assemblée nationale turque, lors d’une séance à huis clos, d’une motion autorisant la conduite d’opérations militaires, il serait hâtif de conclure à l’imminence d’une guerre ou à des opérations d’envergure extra frontalière de la part de la Turquie.


Alors que le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu interprètent largement le rôle que les États-Unis voudraient faire jouer à la Turquie et qu’ils poursuivent leur rêve de voir ce pays devenir une véritable puissance régionale, la politique syrienne de la Turquie ressemble de plus en plus à un faux départ. Au fil des longs mois où s’est prolongée la crise syrienne il est devenu évident, d’une part, qu’une intervention militaire collective occidentale n’était pas envisageable et, d’autre part, que Bachar el-Assad jouissait d’un soutien populaire et militaire beaucoup plus solide que ses homologues tunisiens et égyptiens dont la chute a été expéditive. La Turquie ne dispose pas d’une marge de manœuvre diplomatique suffisante pour se lancer dans une telle aventure militaire, avec comme seuls véritables alliés le Qatar et l’Arabie Saoudite.


Par ailleurs, cet enthousiasme du gouvernement de l’AKP (le Parti de la justice et du développement) est loin de faire l’unanimité au sein de la Turquie. Non seulement tous les principaux partis d’opposition sont contre une intervention, mais le gouvernement aurait également beaucoup de peine à faire accepter celle-ci à l’opinion publique, malgré l’importance de son électorat. Alors que la situation au Sud-Est de la Turquie était déjà extrêmement tendue avec les affrontements entre l’armée et les militants kurdes du PKK, la grande majorité de la population est contre une nouvelle guerre avec la Syrie, qui constitue la plus longue frontière terrestre de la Turquie. De plus, depuis le début de la crise syrienne, et le soutien indirect d’Ankara aux forces rebelles syriennes, le peuple turc voit d’un très mauvais œil les centaines de militants armés, entre autres des djihadistes venus du Pakistan, de l’Afghanistan et de Égypte, qui rôdent au sud de la Turquie, créant un désordre constant.


Cependant, il faut surtout rappeler que la crise turco-syrienne présente un aspect stratégique de premier plan puisqu’elle concerne directement la question kurde (les Kurdes composent la minorité la plus importante dans ces deux pays), à tel point qu’Erdogan a pu se permettre de qualifier la crise syrienne d’une "affaire interne" de la Turquie. Ce qu’Ankara voudrait à tout prix éviter, c’est de voir l’émergence d’une nouvelle autonomie kurde dans la région, à la frontière turque. Pour le moment cette crise a surtout profité au PKK, qui a d’ores et déjà consolidé sa base arrière dans le nord de la Syrie.


Enfin, ces affrontements indiquent définitivement les limites de ce qui restait de la politique du "zéro problème avec les voisins" annoncée en grande pompe par Ahmet Davutoglu en 2009. Ironiquement, celle-ci s’appuyait en grande partie sur un rapprochement avec les régimes autoritaires de la région, dont Bachar el-Assad que le Premier ministre turc appelait encore il y a un an "mon frère".

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