ANALYSES

« Hollande ne connaît pas bien l’Afrique et il a été mal conseillé »

Presse
13 octobre 2012
Serge Michailof - Le JDD.fr

Serge Michailof, chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et consultant pour la Banque mondiale revient pour LeJDD.fr sur les premiers pas de François Hollande en Afrique.


Qu’est-ce qui vous a impressionné dans le discours de François Hollande prononcé à Dakar, vendredi?

Il y a des points très positifs dans le discours de Dakar de François Hollande. Il a d’abord évoqué le problème des visas, qui est un point qui agace particulièrement les jeunes Africains. Le drame c’est qu’à cause de la gestion absurde de l’attribution des visas, les jeunes élites africaines ne viennent plus faire leurs études en France. Elles vont au Canada ou aux Etats-Unis. François Hollande a insisté sur la nécessité de transparence dans la gestion des ressources naturelles, ce qui est primordial. Les recettes propres des pays africains dépassent largement l’aide publique au développement et la clarté dans la gestion de ces ressources est la clé du développement. Il a annoncé vouloir soutenir les pays africains pour que les contrats avec multinationales étrangères soient mieux négociés.


Qu’est-ce qui vous a déçu?

François Hollande a affiché une volonté de franchise. Il s’en défend mais il a un ton un peu moralisateur que je trouve dérangeant. Prenons l’exemple de la République démocratique du Congo (RDC). Le président français a évoqué les conditions douteuses de la réélection de Joseph Kabila. C’est une réalité mais c’est maladroit. Ce pays vient d’affronter une guerre civile qui a duré 10 ans et qui a coûté la vie à 4 millions de personnes. L’équilibre politique est très fragile et François Hollande le met en péril en recevant Etienne Tshisekedi, un opposant historique de 82 ans. Il faut être prudent, de l’équilibre de la RDC dépend ‘équilibre de toute l’Afrique centrale. François Hollande ne connaît pas bien l’Afrique et il a été mal conseillé.


«La France n’a pas de politique de coopération»

Il a longuement insisté sur le développement…

François Hollande lie la solidarité au développement, là on est en pleine langue de bois. L’aide de la France aux pays les plus pauvres, qui implique une aide bilatérale sous forme de subventions, a disparu. Ce qui explique d’ailleurs la perte d’influence de la France en Afrique. Toute notre aide passe maintenant par l’Europe et par les banques régionales de développement. Ce qui ne passe pas par ses canaux là se fait sous forme de prêt ce qui exclut les pays les plus pauvres. Il y a un écart hallucinant entre les discours des autorités françaises sur l’aide au développement et la réalité.


C’est-à-dire?

Officiellement notre aide publique au développement est de 10 milliards d’euros. Or, au cours des trois dernières années, la France a donné 14 millions d’euros par an pour l’aide au développement des cinq pays sahéliens (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad). Moins de 0,1% de notre aide globale, ce qui est scandaleux. La France a des intérêts stratégiques dans cette zone. Où est la logique géopolitique? Il n’y en n’a pas. La France n’a pas de politique de coopération. François Hollande n’a rien annoncé pour lutter contre ces absurdités, dénoncées par cinq rapports parlementaires au cours des dernières années. Le ministre de la Coopération s’appelle maintenant ministre du Développement mais dans le fond il a toujours aussi peu de pouvoir, l’attribution de l’aide étant décidée à Bercy dans un contexte de bureaucratie opaque. Il faut aborder les questions africaines avec plus de rigueur.


François Hollande a beaucoup parlé de croissance…

L’Afrique a renoué avec la croissance depuis le début des années 2000. D’abord le continent profite de l’augmentation des prix des matières premières, qui est une conséquence de la croissance asiatique. Ensuite, l’Afrique est globalement mieux gérée qu’il y a 20 ans. Enfin elle profite de l’effacement quasi total de la dette. La France doit tirer son épingle du jeu.


Il a annoncé la fin de la Françafrique. Réussira-t-il là où ses prédécesseurs ont échoué?

La Françafrique c’est avant tout des mécanismes de corruption qui permettent le financement des partis politiques français par des chefs d’Etat africains. De visiteurs du soir à l’Elysée, des émissaires occultes, la plupart des partis politiques français en ont bénéficié. On parle de néocolonialisme, la France ferait la pluie et le beau temps en Afrique, je dirais que c’est plutôt le contraire, un certain nombre de chefs d’Etat africains ont eu une influence démesurée sur la politique française. C’est la France qui était une République bananière. François Hollande annonce vouloir tourner cette page, on verra, mais c’est un souhait que je ne peux que saluer.


Quelle sera la politique africaine de François Hollande?

Nicolas Sarkozy a poussé sa vision "réaliste" de la politique étrangère jusqu’au cynisme. François Hollande doit faire attention à ne pas tomber dans l’extrême inverse avec un discours moralisateur où il imposerait nos valeurs sans comprendre les différences. La démocratie est une valeur universelle mais la manière dont on l’applique ne l’est pas. Les pays africains sont formés autour de multiples minorités.


«Le Nord du Mali peut se transformer en un nouvel Afghanistan»

Le président a consacré une bonne partie de son discours à la situation malienne…

La situation au Mali est extrêmement préoccupante. Il y a un risque de transformer la zone qui s’étend du Darfour à la Mauritanie en un nouvel Afghanistan. L’option militaire est de plus en plus sérieusement envisagée. Gao et Tombouctou vont être reconquises en 48 heures et après? Les milices sont extrêmement bien entrainées, elles s’arment en Lybie, et disposent de financement qui viennent du golfe, et c’est sans parler des rackets et des trafics auxquels elles se livrent. L’intervention risque d’être très longue et très coûteuses. François Hollande défend une intervention menée par la Cedeao*. Quel pa*ys va envoyer des troupes? Sans l’appui de l’Algérie, l’option militaire ne devrait pas être envisagée.

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