ANALYSES

La puissance et la faiblesse

Presse
23 octobre 2012
Barthélémy Courmont - Le Monde.fr

Le troisième et ultime duel qui opposa en Floride lundi soir les deux candidats à la Maison-Blanche, consacré à la politique étrangère, est celui dont l’impact sur l’élection est le plus faible. Cela s’explique d’une part par un calendrier qui fait de ce débat, à seulement deux semaines du vote, un évènement moins déterminant que les précédents, mais aussi par le peu d’intérêt que les électeurs manifestent pour les questions de politique étrangère en comparaison avec les défis économiques et sociaux, en particulier dans le contexte actuel. A cela s’ajoute la réalité de débats télévisés qui ont généralement peu d’influence sur l’élection à l’âge de la communication de masse, et compte-tenu de l’omniprésence des deux candidats dans les médias depuis des mois.


Enfin, l’élection du 6 novembre se jouera dans quelques Etats (dont la Floride), et par conséquent sur des considérations locales plus que des questions internationales. Il n’est ainsi pas étonnant de voir dans ce débat les candidats faire de constantes références aux Etats en question, faisant référence à tel secteur économique dans l’Ohio, telle entreprise en Floride, ou tel électeur rencontré en Pennsylvannie. Plus de quarante Etats sur les cinquante de l’Union ont déjà choisi leur champion, et ce débat a une fois de plus montré les limites d’un exercice quelque peu décalé de la réalité du scrutin, comme le sont les sondages d’opinion au niveau national.


Les deux candidats ont constamment établi un lien entre la politique étrangère et les questions de politique intérieure, mentionnant à plusieurs reprises les délocalisations d’entreprises et les pertes d’emploi aux Etats-Unis, se servant de la Chine pour développer leur programme économique et social, et s’attardant sur l’éducation pour faire face aux puissances émergentes. Sur ces deux sujets (comme d’ailleurs sur la quasi totalité des questions abordées), Barack Obama et Mitt Romney n’ont pas montré de divergences profondes, et mis ont de concert en avant la nécessité d’un leadership fort, à la fois en interne et à l’international.


La question du leadership (sans doute le terme le plus employé pendant les 90 minutes) fut de fait au coeur du débat. Et l’opposition entre une Amérique forte et une Amérique faible en fut le fil conducteur. A l’heure où un nombre grandissant d’analystes s’interrogent sur le déclin des Etats-Unis, les candidats rivalisèrent d’initiatives, mais aussi d’auto-persuasion, pour insister sur le caractère "indispensable" (pour reprendre un terme utilisé par Obama durant le débat) de la puissance américaine. Et ils distinguèrent une Amérique forte et une Amérique faible, à la manière de Robert Kagan, qui dans son essai provocateur publié il y a près de dix ans et intitulé La puissance et la faiblesse, opposait une Amérique forte et une Europe faible. S’il ne fut pas question cette fois d’Europe (totalement absente du débat), l’opposition entre puissance et faiblesse fut présentée comme le choix qui se présenterait aux électeurs le 6 novembre prochain, avec contrairement à Kagan (preuve que l’Amérique a bien changée depuis une décennie) l’importance accordée aux alliés de Washington, et donc à une puissance américaine défendant les vertus du multilatéralisme. Mais les deux candidats ont une différente vision de la puissance, et de la manière de l’exercer.


Mitt Romney s’est, depuis le début de la campagne, positionné comme un partisan acharné d’une Amérique forte, au risque d’être parfois présenté (sans doute à tort) comme un "faucon", et a régulièrement attaqué le bilan de l’administration Obama pour s’être montrée faible (même si ses attaques étaient nettement moins percutantes lors de ce débat que pendant la campagne des Primaires républicaines). Le candidat républicain a en revanche attaqué de front Obama sur ce qu’il a qualifié de "tournée du pardon" (apology tour) suivant son arrivée au pouvoir en janvier 2009, à savoir une série de déplacements à l’étranger dans lesquels il fustigea l’arrogance de l’administration précédente. L’ancien gouverneur du Massachussetts y voit le signe d’une faiblesse pouvant être interprétée par les ennemis de Washington comme l’assurance du retrait des Etats-Unis de la scène internationale, et donc une marge de manoeuvre élargie pour eux. Il préconise à l’inverse des dépenses militaires à la hausse et un ton diplomatique plus ferme, même si sur le fond, les deux candidats identifient les mêmes priorités, et ne montrent que peu de désaccords (notamment sur les sanctions économiques, frappant notamment l’Iran). Il estime enfin qu’une Amérique plus forte sur la scène internationale sera en mesure de répondre plus efficacement aux défis économiques et sociaux, et à cet égard la relation avec la Chine est un exemple significatif. Mais il juge dans le même temps que le monde est moins sécurisé aujourd’hui qu’il y a quatre ans, et appelle à un engagement plus ferme à l’encontre de pays comme l’Iran ou la Corée du Nord.


Barack Obama a de son côté usé de son talent d’orateur pour se présenter comme un commandant-en-chef fort, maitrisant ses dossiers et fort d’un bilan honorable, avec le retrait d’Irak, l’attention plus forte portée sur l’Afghanistan, la mort d’Oussama Ben Laden, le réengagement américain en Asie-Pacifique ou encore l’amélioration sensible de l’image des Etats-Unis dans le monde. Il a par ailleurs insisté avec fermeté sur le fait que tant qu’il sera président, l’Iran ne possèdera pas l’arme nucléaire, et que les Etats-Unis continueront de lutter contre le terrorisme international, notamment en s’engageant plus fortement en faveur du nation building. Le président sortant s’est montré offensif (plus que Romney), critiquant le manque de leadership de son adversaire, son absence de vision, ou encore l’improvisation qu’il manifesta à plusieurs reprises pendant la campagne, notamment après l’attaque de Benghazi. A ses yeux, son programme de politique étrangère répond à la nécessité d’une Amérique forte, tandis que celui de Mitt Romney est un retour en arrière aux années Bush, qu’il juge néfastes sur ce point.


Au final, l’intérêt de ce débat ne réside pas tant dans l’évaluation de son potentiel "vainqueur" que dans la manière dont le reste du monde perçoit la puissance américaine, et celui qui aura la charge, dans les quatre prochaines années, de l’incarner. Et sur ce point, sans surprise, Barack Obama marque des points incontestables, tant il bénéficie d’une meilleur image que Mitt Romney dans le monde et profite de son expérience au sommet de l’Exécutif. Mais le 6 novembre, ce sont les Américains qui voteront, et ce sont les électeurs de Floride, Ohio, Pennsylvannie, Virginie, Nevada, Colorado et quelques autres Etats qui désigneront le vainqueur, et le futur commandant-en-chef de la première puissance mondiale.

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