ANALYSES

«La corruption gangrène le système chinois»

Presse
21 novembre 2012
Interview de [Fabienne Clérot->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=clerot], chercheur à l’IRIS

Une nouvelle ère s’ouvre-t-elle en Chine avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping ? Avec ce « prince rouge », la cinquième génération de dirigeants chinois arrive au gouvernement. Entre corruption et croissance, Xi Jinping et son équipe seront confrontés à de nombreux enjeux. Fabienne Clérot, spécialiste de la Chine pour l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), répond aux questions de JOL Press.


Comment décririez-vous le nouveau président Xi Jinping et quelles sont les personnalités marquantes de son entourage ?

Xi Jinping est souvent décrit comme un « prince rouge » car il est le fils de Xi Zhongxun, un des huit « héros du Panthéon révolutionnaire chinois » qui a participé à la Longue Marche aux côtés de Mao Zedong, avant de subir les purges de 1962 et d’être réhabilité après la mort de Mao Zedong en 1978. Il a également fait partie des jeunes instruits, envoyés à la campagne pendant la révolution culturelle lorsqu’il avait 15 ans. Cette période l’a évidemment profondément marqué.


On le dit plus pragmatique et moins idéologue que ses prédécesseurs bien qu’il soit « spécialisé en théorie et éducation idéologique marxistes » de l’université de Tsinghua.


Il est l’homme du consensus, c’est un modéré. Son nom a fédéré les votes des membres du Parti et des anciens dirigeants. Choisi par Jiang Zemin, il a été avalisé par Hu Jintao.


Il est aux « affaires » depuis cinq ans comme vice-président après avoir gravi tous les échelons du pouvoir et officié dans différentes provinces côtières, ouvertes et dynamiques telles que Zhejiang, Fujian ou encore Shanghai. On le suppose donc plutôt favorable à l’industrie privée.


Il a désormais presque tous les pouvoirs – même s’il ne sera à la tête de l’État qu’à la prochaine réunion de l’assemblée nationale populaire – puisque Hu Jintao lui a laissé la direction de la commission militaire. Sa biographie vient d’ailleurs d’être mise à jour pour souligner l’importance que l’armée a toujours eue à ses yeux (son premier poste en 1979 était à la Commission militaire centrale du PCC).


Sa fille étudie, incognito, à Harvard, lui aussi a voyagé aux États Unis en 1985 lorsqu’il était en charge des questions agricoles dans le Hebei. Son voyage aux États Unis l’année dernière avait été considéré comme un succès.


Il a un style différent de ses prédécesseurs, plus moderne et plus charismatique, comme l’a montré son premier discours lors de son investiture le 15 novembre.


Sa femme est également un atout pour lui, très connue en Chine comme chanteuse, elle a le grade de général dans l’Armée et est depuis un an ambassadrice de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte contre la tuberculose et le sida.


Alors qu’il se construit une image d’homme proche du peuple, une enquête de Bloomberg a récemment révélé que sa famille était parvenue à amasser une fortune de plusieurs centaines de millions de dollars.


On dit souvent que le congrès du Parti communiste est le moment privilégié où s’affrontent les différents courants politiques chinois. Quelles sont ces grandes tendances qui se sont particulièrement confrontées durant cette semaine ?

La « nouvelle gauche », aile à tendance néo-maoïste, a fait l’objet de vives critiques. Depuis la « disparition » de Bo Xilai, cette mouvance est en perte de vitesse. Le successeur de Bo Xilai à Chongqing, Zhang Dejiang, l’un des sept membres du nouveau Comité permanent, a d’ailleurs nié dans une interview l’existence d’un « modèle de Chongqing ».


Si le parti a voulu afficher son unité « idéologique », les rivalités de pouvoir sont apparues au cours de ce Congrès. On distingue habituellement plusieurs groupes ou clans tels que la « clique de Shanghai », les membres ayant appartenu à la « ligue de la jeunesse communiste » et les « princes rouges » (fils d’anciens dirigeants).


Si l’on observe le parcours des sept membres du nouveau comité, on constate qu’ils ont effectué la plus grande partie de leur carrière dans les provinces côtières et les villes les plus dynamiques économiquement telles que Canton, Tianjin ou Shanghai. L’influence de l’ancien président Jiang Zemin a été marquante et plusieurs des nouveaux chefs du parti lui sont clairement affiliés.


Quels sont les messages principaux que nous pouvons tirer de ce congrès ?

Le Congrès a mis l’accent sur les sujets qui préoccupent le plus les Chinois : la corruption, considérée comme potentiellement « fatale » pour le Parti, et les inégalités croissantes. Le changement de modèle de croissance était au cœur des débats avec le thème, cher à Hu Jintao, de « développement scientifique », c’est à dire la montée en gamme technologique de la Chine.


Le discours de Xi Jinping a tranché par rapport aux déclarations habituelles. Sur la forme, il s’est montré moins dogmatique, ne faisant aucune référence à ses prédécesseurs ou à la terminologie habituelle du Parti. Sur le fond, il a centré son discours sur le peuple chinois, ses attentes en termes d’éducation, d’emploi, de revenus, de sécurité sociale, de santé, d’environnement et de bien-être et les responsabilités des dirigeants chinois. Il a ciblé la corruption comme principal problème à résoudre au sein du parti et souligné que le parti devait être au service du peuple. Il a d’ailleurs prononcé le mot « peuple » à 21 reprises.


Quels seront les grands enjeux de l’ère Xi Jinping ? Ces années vont-elles marquer un changement ?

Les défis sont nombreux. Sur le plan économique, il s’agira d’assurer la poursuite d’une croissance durable, moins inégalitaire et plus respectueuse de l’environnement. Sur le plan politique, il faudra lutter contre la corruption et répondre aux attentes de la population en faveur d’une plus grande liberté et d’une plus grande transparence.


Si, sur le plan économique, les sept membres du comité central ont de solides compétences, ils sont réputés très conservateurs sur le plan politique.


Le nom de Jiang Zemin a été prononcé à plusieurs reprises pendant ce congrès. Comment l’expliquez-vous ?

Jiang Zemin, 86 ans, a été mis à l’honneur pendant tout le congrès. On a cependant noté son absence lors de la clôture du congrès.


Son influence est perceptible sur les choix des nouveaux dirigeants, dont plusieurs ont travaillé avec lui lorsqu’il était président, notamment Yu Zhengshen. C’est d’ailleurs lui qui aurait choisi Xi Jinping.


La corruption a également été au cœur des débats, pensez-vous que cet élément soit un des défis majeurs des prochaines années en Chine pour la classe politique chinoise ?

Hu Jintao et Xi Jinping l’ont placée tous les deux au centre de leur discours. Les scandales récents, qui se multiplient et sont largement commentés sur les réseaux sociaux, et les révélations sur la fortune des dirigeants sapent la légitimité du parti, une légitimité qui ne repose que sur la croissance.


La corruption gangrène le système, c’est l’une des principales préoccupations du peuple chinois avec la montée des inégalités sociales et les questions de sécurité alimentaire, selon une récente enquête d’opinion.

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