ANALYSES

Coups de force permanents. L’Europe post-démocratique

Presse
30 novembre 2012
Par [Philippe Thureau-Dangin->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=thureaudangin], chercheur associé à l'IRIS

Dans I’affaire Copé-Fillon, ce qui est fascinant va bien au-delà d’un combat des chefs ou la haine est à nu. Cette lutte de pouvoir illustre surtout à merveille les nouvelles mœurs « démocratiques » que l’on voit à l’œuvre un peu partout dans le monde. Expliquons-nous.


L’UMP, parti issu d’une longue tradition bonapartiste a voulu, dit-on, organiser un moment démocratique l’élection de son président au suffrage universel (militants et sympathisants). Et le résultat n’a pas déçu : mauvaise organisation irrégularités, bourrage de quelques urnes, intimidations dans les fédérations, utilisation de l’appareil et des fonds du parti par l’un des candidats, etc.


Mieux, dans les jours qui ont suivi le vote d’autres travers sont apparus : auto-proclamation à répétition d’un candidat, omniprésence médiatique, manipulation des instances de régulation, etc. Tout cela n’est pas très différent de ce que l’on voit à l’œuvre par exemple en Egypte avec Mohamed Morsi (mise au pas de l’autorité judiciaire), avec Viktor Orban en Hongrie (refonte de la loi électorale a son profit), ou à gauche avec un Rafael Correa en Equateur (utilisation de la justice contre les médias), etc.


Tous ces dirigeants sont bien issus de scrutins « démocratiques » et disent accepter pleinement la démocratie mais ils font tout pour la vider de son sens ou la détourner (ne parlons pas ici de Vladimir Poutine l’exemple type). Ces dévoiements ne touchent pas seulement des démocraties «nouvelles», qu’elles soient issues des décolonisations, des dictatures latines ou de l’effondrement du bloc soviétique. Ils touchent aussi des pays comme l’Italie de Silvio Berlusconi et nul doute que de semblables tentations s’exerçaient en France dans un passé tout récent. Le passionnant feuilleton de l’UMP nous montre aussi cela, sans fard, car tout y est quasiment public. C’est un microcosme qui reflète, en petit, le macrocosme international.


Aujourd’hui, la démocratie s’est imposée partout comme régime universel. Hormis quelques princes arabes ou potentats issus de la guerre froide (Corée du Nord notamment), être dictateur à l’ancienne n’est plus de saison. Au sein de la droite française, on a voulu « faire démocrate ». On voit assez bien quel genre de politique pourrait suivre un Jean-François Copé s’il était à la tête de l’Etat, et vers quel régime cela pourrait nous conduire. On ne sait pas, en revanche, ce qu’auraient fait François Fillon et ses lieutenants, s’ils avaient « tenu » l’appareil ni ce que celui-ci fera le jour où il sera élu président de quelque chose.


On a comparé la lutte autour de la présidence UMP aux cafouillages que l’on a pu constater en Afrique après telle ou telle élection. Ce n’est pas suffisant. II faut rattacher cette histoire exemplaire à ce que l’on voit émerger un peu partout des régimes « post-démocratiques » ou le scrutin n’est qu’un prétexte, et où l’essentiel du pouvoir se passe ailleurs. Le politologue britannique Colin Crouch a analysé ce phénomène au début des années 2000 en expliquant pourquoi peu à peu les intérêts privés et la puissance des lobbies, financiers, médiatiques et autres vidaient la démocratie de son sens et de sa substance, et cela même en Europe (la chancelière Angela Merkel elle-même a été traitée de post-démocrate par le philosophe Jürgen Habermas).


Mais il y a encore plus frappant, et on en a un exemple avec l’UMP et ses nombreuses commissions faussement indépendantes (Cocoe, Conare) : dans cet univers post-démocratique les politiques ont du mal à respecter la séparation des pouvoirs. Le législatif n’est qu’une ombre et le judiciaire doit filer doux. On crée, à côté des commissions à sa botte. Fini donc les coups d’Etat, nous voilà entrés dans l’ère des coups de force permanents.

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