ANALYSES

Berlusconi ne se lance pas pour gagner, mais pour défendre ses intérêts

Presse
10 décembre 2012
Interview de [Fabio Liberti->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=liberti], directeur de recherche à l’IRIS, par Fabrice Aubert
Le retour de Berlusconi impliquait-il de fait la chute de Monti ? Le Peuple de la Liberté (PdL), sa formation, était-il obligé de lâcher Monti ?

Silvio Berlusconi, âgé de 76 ans et qui entamera sa 6e campagne, avait deux manières pour faire évoluer son parti. Tout d’abord, laisser le leadership de son camp à Mario Monti, issu du centre-droit comme lui -n’oublions pas que c’est Berlusconi qui a nommé Mario Monti comme commissaire européen en 1995. La vie politique italienne aurait alors été normalisée.


Il pouvait aussi, à la vue des mauvais sondages du PdL, tenter de faire oublier que la situation économique actuelle était le résultat de sa propre politique. Cela passait par se présenter une nouvelle fois en menant une campagne populiste, basée sur des critiques contre l’Allemagne, la France et l’UE, puissances à qui il attribue l’austérité menée par Monti. En choisissant cette voie, il ne pouvait donc plus soutenir Monti au Parlement. Or sans Berlusconi, Monti n’a plus de majorité.


Les élections étaient normalement prévues en avril. Avec la crise créée par Silvio Berlusconi, elles vont être avancées en février. Est-ce vraiment grave ?

Non. Ce qui est grave, c’est que le PdL prenne le pari de jouer la carte populiste anti-européenne. Ce créneau est déjà important en Italie. Et il sera probablement porteur pendant la campagne.


La question que tout le monde se pose en France : Berlusconi a-t-il vraiment ses chances face à la gauche menée par Pier Luigi Bersani lors des élections ?

Non. Il faut garder en tête que les élections italiennes ne sont pas une confrontation entre deux personnalités. Ce sont avant tout des législatives mettant des partis et des candidats en compétition. Etant donné les rapports de force actuels, Berlusconi ne peut donc pas gagner. ll ne se lance d’ailleurs pas pour gagner. Il cherche avant tout à compter dans la vie politique pour les années à venir.


Dans quel but ?

Défendre ses intérêts, et non pas ceux de l’Italie. Sur le plan économique, ses sociétés ont généralement eu de bons résultats quand il était au pouvoir. Sur le plan judiciaire, il vient d’être condamné pour corruption tandis que le procès du "Rubygate" continue. Etre parlementaire, voire chef de l’opposition, lui permettra d’éviter certaines audiences sous prétexte d’engagements institutionnels. Certaines lois nécessitent aussi la majorité des 2/3, qui ne peut être obtenue sans un large consensus. Or Silvio Berlusconi aura forcément la minorité de blocage sur beaucoup de sujets.


Impôts qui broient les classes moyennes, absence de croissance en raison de l’austérité, critiques d’une Europe soumise aux volontés de l’Allemagne. En étant volontairement provocateur, les tirades de Berlusconi ressemblent en partie à celle de Hollande lors de la présidentielle française…


Angelino Alfano, le secrétaire général du PdL, a effectivement utilisé cette référence ces derniers jours. Il a notamment souligné que François Hollande s’était aussi opposé au "diktat" de "Merkozy" sans que cela ne soulève de critiques. Mais cet argument est vraiment très "court" étant donné l’océan qui sépare les programmes de Berlusconi et de Hollande. La comparaison me parait vraiment très osée.


Si Berlusconi ne peut pas gagner, que peuvent donner ces élections ?

Il reste encore un noyau de "berlusconiens" purs et durs qui voteront pour lui quoi qu’il arrive. Une bonne partie de l’électorat a aussi souffert de la politique d’austérité menée par Mario Monti. Ces électeurs sont tentés par le vote protestataire. Ils pourraient donc voter pour Berlusconi ou Bepe Grillo et son "Mouvement 5 étoiles".


Plus globalement, au-delà du rapport droite-gauche, cette campagne va surtout couper l’Italie entre un groupe pro-européen et un groupe anti-européen. Le premier sera composé par la gauche de Bersani et probablement par une liste centriste menée par Monti. Le second sera donc celui où l’on retrouve Berlusconi et Grillo.


Vous pensez que Mario Monti sera candidat ?

C’est évidemment son choix personnel et je n’ai pas de certitude. En l’écoutant tous les jours, on a néanmoins l’impression qu’il a aimé cette expérience politique et qu’il est très tenté par la poursuivre. Il n’est donc pas improbable qu’il reste dans la vie politique en conduisant une liste centriste, déjà créditée de 10 à 15% dans les sondages avant même d’exister.


Comme Bersani ne pourra pas avoir la majorité absolue, il sera obligé de composer avec les centristes. Dans ce cas, Mario Monti pourrait devenir son ministre de l’Economie afin de poursuivre ce qu’il a entamé ou encore prendre la présidence de la République. Selon le rapport de force politique, Monti pourrait même rester Premier ministre.


Les marchés ont mal réagi ce lundi.

C’était malheureusement prévisible. Ils détestent l’instabilité. Avec Monti, ils avaient l’impression que l’Italie allait vers un chemin qui les rassurent. Aujourd’hui, la politique italienne redevient instable, avec une campagne qui s’annonce violente et populiste.

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