ANALYSES

Chine-Japon : le risque d’incidents est réel, le risque d’un conflit armé faible

Presse
27 décembre 2012
Jean-Vincent Brisset - Le Monde.fr

Si le risque d’incidents sino-japonais autour des Senkaku est réel, celui de les voir dégénérer en un conflit armé d’envergure est actuellement faible. Ce contentieux permet à Pékin d’occulter ses actions en Mer de Chine du Sud. Il est aussi l’une des raisons de la victoire de Abe aux législatives nippones, qui pourrait se traduire dans le moyen terme par un changement de la posture stratégique du Japon.


Même depuis le rétablissement, en 1972, de relations diplomatiques entre Pékin et Tokyo, les contentieux n’ont pas manqué. Ils ont été résolus par des compromis, ou passés provisoirement sous silence, mais il reste toujours de vieilles rancœurs. Des tensions ressurgissent périodiquement malgré l’imbrication économique de plus en plus forte des deux pays. La décision du gouvernement japonais de "nationaliser" les Senkaku en les rachetant à la famille qui en était propriétaire a ravivé l’un de ces contentieux. La Chine estime de plus en plus être en position de force et, partout, les dirigeants de Pékin ont multiplié les déclarations selon lesquelles les îles étaient "indiscutablement chinoises". Nombre d’entre eux ont appelé au boycott des produits japonais, organisé des manifestations "spontanées" contre les intérêts nippons et brandi des menaces. La victoire des conservateurs lors des élections législatives japonaises de décembre 2012 est, au moins en partie, une réponse de la population et un appel à plus de fermeté de la part de son gouvernement.


Pékin ne s’y est pas trompé. "Nous sommes très attentifs aux orientations que va prendre le Japon", déclarait la porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois au cours du point presse suivant cette élection. Abe, futur premier ministre, est considéré comme un "faucon", particulièrement envers Pékin. Il en avait fait la démonstration au cours de son passage au pouvoir en 2006-2007. A l’époque, ses déclarations trop directes alors que le monde entier semblait se réjouir de "l’irrésistible ascension" de la Chine ne lui avaient pas valu de soutiens internationaux et avaient inquiété ses concitoyens.


Les perceptions ont changé. Abe sera désormais en mesure de mettre en application une politique de fermeté contrastant avec celle menée par ses prédécesseurs. Parmi ses déclarations de campagne figurent un renforcement de l’alliance avec les États-Unis, un partenariat stratégique avec l’Australie et un rapprochement avec les pays riverains de la mer de Chine du Sud, eux aussi "victimes" de la nouvelle politique de Pékin. Beaucoup plus sensible, mais probable, est la perspective de "réinterprétation" de l’article 9 de la Constitution japonaise, qui limite actuellement les ressources des forces militaires du pays à 1% du PIB et restreint drastiquement leurs possibilités d’emploi. Cela pourrait aller de pair avec une résurgence du nationalisme et rendre beaucoup plus conflictuelles les relations avec la Chine.


A l’heure actuelle, il ne faut cependant pas jauger les possibilités d’affrontement militaire à l’aune de capacités matérielles comme c’est trop souvent fait. Numériquement inférieures, les forces japonaises sont mieux équipées et mieux entraînées. Elles sont surtout beaucoup plus cohérentes et opérationnelles que celles de leur adversaire potentiel, lesquelles peinent à acquérir une culture des opérations navales. Pékin compte d’ailleurs, pour ses opérations de conquête maritime actuellement en cours, sur des actions asymétriques de forces para-militaires : police maritime, gardes-côtes et gardes-pêche. Il emploie même des pêcheurs qui sont incités à aller manifester avec leurs bateaux dans les eaux contestées. Il se produit régulièrement des collisions, qui font parfois des morts. Un incident plus violent que les autres et/ou géré de manière agressive pourrait dégénérer.


Le conflit des Senkaku, tant qu’il reste dans le déclaratif, est en fait une aubaine pour Pékin qui continue les mesures intrusives. Aucun des deux pays, ne serait-ce qu’à cause des imbrications économiques, n’a pourtant intérêt à voir le conflit s’envenimer trop. Mais, au-delà des grandes théories stratégiques qui ressortent à chaque fois que la Chine est impliquée dans un différend, l’affaire de ces îlots est une remarquable application de l’un des "36 stratagèmes" qui sous-tendent les opérations du soft power chinois : "Faire du bruit à l’Est pour attaquer à l’Ouest".


Pendant que les médias du monde entier se passionnent et que les chancelleries s’inquiètent pour les Senkaku, la Chine poursuit tranquillement, dans l’indifférence quasi générale, sa mainmise sur la mer de Chine du Sud. Depuis l’été, ce sont deux millions de kilomètres carrés, par où transitent 40 % du transport mondial maritime de marchandises, dont la Chine a fait une Mare Nostrum. Appliquant la politique du fait accompli, elle a simplement déclaré que l’ensemble composé des Paracels (Xisha), des Spratleys (Nansha) et de Macclesfield Bank (Zhongsha) formait désormais la commune chinoise de Sansha ("trois bancs de sable") et qu’elle y exercerait sa souveraineté. Ce qu’elle a confirmé en y implantant une administration et une garnison et en viabilisant quelques îlots précédemment inhabitables..

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