ANALYSES

Mali: « La France n’intervient pas contre des islamistes mais contre des terroristes »

Presse
14 janvier 2013
Pierre Jacquemot - L’Express.fr

Pourquoi la France intervient-elle seule? Saura-t-elle se désengager du conflit? Les commentaires de L’Express fourmillent de questions sur la guerre au Mali. Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste des questions politiques africaines, y répond.


"Pourquoi la France est-elle intervenue seule au Mali, avant même les pays Africains limitrophes?"

Il y a eu une précipitation des événements vendredi à cause de la menace que les islamistes terroristes faisaient planer sur Mopti. Il faut savoir que c’est une ville hautement stratégique pour le contrôle du pays. Il était important d’éviter sa perte et donc d’agir vite. Ensuite, il n’est pas tout à fait exact de dire que les forces françaises sont intervenues seules vendredi puisqu’elles l’ont fait en appui des forces maliennes au sol. De plus, la force africaine de la Cédéao devrait compléter le dispositif au fur et à mesure.


Le déclenchement de l’intervention française a été soudain, mais il était planifié. Pour preuve, la contre-offensive menée ensuite au-delà des localités menacées était bien préparée.


"Tout ira à peu près bien tant que la France sera au Mali, mais pour combien de temps? L’armée française saura-t-elle passer le relais?"

C’est une question capitale et il est difficile d’y répondre de manière catégorique. Mais il me semble que la préoccupation d’éviter l’enlisement est forte au sein de l’armée française. L’objectif est de passer le relais aux forces africaines de la Cédéao sur les zones libérées. Il y a des inquiétudes sur les capacités de ces dernières, mais il ne faut pas mettre les armées de tous les pays sur le même plan. Je pense par exemple au Niger, au Burkina Faso, au Sénégal et au Nigéria qui ont des armées fiables.


La préoccupation d’éviter l’enlisement est forte au sein de l’armée française

On pense souvent à l’Afghanistan et au Vietnam qui sont des contre-exemples en la matière, mais la France a su par le passé se désengager de certains conflits. Je pense notamment au sauvetage de Kolwezi au Zaïre (1978) ou à Bunia au Congo (2003). Ou encore à l’opération Turquoise au Rwanda (1994), qui fait polémique en France mais pas là-bas. Il est donc possible de faire des opérations coup de poings sans s’enliser et, j’insiste, l’opération Serval n’est pas improvisée.


"Je reconnais le bien-fondé de l’intervention au Mali, mais ne risque-t-elle pas d’embraser les pays voisins?"

Il faut prendre la question à l’envers. Sans intervention, ça devenait extrêmement inquiétant pour l’Ouest Burkinabé. Mopti est à moins de 500 km de Bobo Dioulasso, deuxième ville du Burkina Faso. La crise que traverse le Mali est déjà une crise régionale, et sans intervention de la France elle prenait un caractère plus grave encore. C’est aussi pour cette raison que les pays voisins se montrent solidaires, ce qui est une différence fondamentale par rapport à la guerre en Afghanistan.


Combien va nous coûter encore cette nouvelle guerre? Où va-t-on trouver l’argent?

Il est bien sûr trop tôt pour savoir combien va coûter ce conflit, mais sachez que le prix de la non-intervention aurait été beaucoup plus élevé. Imaginez la situation si Mopti et Bamako avaient été prises…


"Les islamistes sont les adversaires de la France au Mali, mais cela ne dérange personne qu’ils fassent partie de l’opposition à Bachar al-Assad en Syrie?"

La grande différence, c’est que la France n’intervient pas au Mali contre des islamistes mais contre des terroristes. Ces derniers s’attaquent au pays et à sa population. Ce n’est pas parce qu’une partie des opposants se revendiquent, comme ces terroristes, d’un Islam radical qu’il faut les mettre sur le même plan. A part cela, ils n’ont rien en commun.

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