ANALYSES

Evitons un enlisement militaire au Mali et stabilisons durablement la situation au Sahel

Presse
17 janvier 2013
Serge Michailof - Le Monde

La décision prise par le président de la République d’engager les forces française au Mali était incontournable de par la menace immédiate que les groupes djihadistes faisaient peser sur Bamako où résident plusieurs milliers de nos compatriotes et par suite de la profonde déstabilisation que la chute de la capitale malienne aurait provoqué dans toute l’Afrique de l’Ouest. Il faut néanmoins être conscient que la France qui espérait intervenir en soutien de forces africaines est aujourd’hui en première ligne au plan militaire et peut se trouver prise dans un engrenage insoluble de type afghan.


Nos troupes vont en effet se heurter à des groupes très mobiles et motivés. Mais elles vont aussi se heurter à la complexité du milieu humain où elles interviennent où préexistent conflits politiques anciens et effondrement de la base économique, à la difficulté des conditions naturelles, à l’étirement des lignes de communication, mais aussi surtout au manque de légitimité du régime malien, de sérieux de sa classe politique et à l’effondrement de son appareil d’Etat. Il faut ici à tout prix éviter qu’une opération de lutte antiterroriste, conçue comme devant être limitée dans le temps et géographiquement circonscrite, ne se transforme en une guerre de guérilla dans un immense et incontrôlable espace.


La jeunesse touareg désœuvrée et sans espoir serait vite recrutée par les groupes armés salafistes. Le djihad offrirait à cette jeunesse les perspectives d’ascension sociale et de revenus qui lui sont actuellement interdits. Une telle guerre ne pourrait être gagnée au XXIe siècle par une démocratie occidentale soucieuse de respecter les droits de l’homme. Elle est en tout état de cause interdite à l’ancienne puissance coloniale.


Si l’intervention militaire est à court terme couronnée de succès, la stabilité non seulement du nord mali mais en fait de l’ensemble du nord sahélien restera néanmoins problématique. Cette vaste région partage trois caractéristiques avec l’Afghanistan : L’État est absent de longue date, la population qui croit de façon exponentielle se trouve confrontée à des crises alimentaires périodiques et l’élevage et l’agriculture traditionnelle ayant été fragilisés par des sécheresses à répétition et l’absence d’investissements agricoles, les jeunes n’ont d’autre espoir que la participation aux trafics transfrontaliers et l’émigration. Toute intervention militaire dans un tel environnement doit donc s’accompagner du lancement d’un ambitieux programme d’aide au développement visant à reconstruire une base productive et redonner espoir à la population. Or faute pour la France de disposer de ressources d’aide adaptées, les appuis financiers devront être pour l’essentiel apportés par les institutions multilatérales. Celles ci ont hélas fait la preuve en Afghanistan de leur incapacité à se coordonner pour gérer leurs ressources de manière stratégique en fonction d’objectifs politiques clairs.


Pour limiter ces risques d’enlisement militaire ou de gestion périlleuse d’une situation de post conflit dans une région très sensible, les autorités françaises doivent prendre au plus vite une série de mesures, certaines difficiles, dont les plus importantes sont les suivantes :


– Amener les autorités maliennes à ouvrir au plus vite des perspectives politiques à la population Touareg du Mali. Les groupes armés rebelles vont en effet se tenter de présenter comme les défenseurs des populations locales, en achetant pour cela des loyautés de multiples manières (dons d’argent, mariages, élimination physique des hiérarchies traditionnelles hostiles etc). Il importe donc d’être très clair vis-à-vis des autorités maliennes et de leur faire comprendre qu’un retour au statut quo politique antérieur est impossible et que l’action armée doit s’accompagner de propositions politiques impliquant une certain degré d’autonomie voire de fédéralisme réclamé depuis fort longtemps par la population touareg


– Tenter d’engager un processus de reconstruction d’un Etat malien crédible disposant d’un pouvoir politique légitime et d’une administration régalienne efficace. La difficulté est qu’aucun pouvoir extérieur et certainement pas la France ne peut prendre en tutelle un Etat souverain et engager une telle reconstruction qui implique une adhésion des élites locales à un projet politique crédible. Ce point est certainement le plus délicat. La mise à l’écart des militaires putschistes et en particulier du capitaine Sanogo s’impose ici à l’évidence.


– Prendre le leadership ou participer activement à une coalition regroupant les principales institutions multilatérales d’aide (Banque mondiale, Banque africaine de développement et Fonds européen de développement) pour préparer un ambitieux plan de relance économique de l’ensemble du Sahel (sud et nord). Un tel plan devra particulièrement se focaliser sur l’agriculture. Il devra renforcer les efforts déjà engagés en matière de formation technique des jeunes, d’éducation des filles et de planning familial. Ce plan devra en premier lieu couvrir les zones du sud non affectées par l’insécurité et ne s’étendre que progressivement au nord vers les zones pacifiées.


– Préparer avec l’aide de quelques partenaires européens un programme de renforcement des institutions régaliennes (armées, gendarmeries, administrations territoriales, justice, finances, etc) non seulement au Mali mais aussi dans l’ensemble des pays sahéliens voisins, en particulier Niger et Mauritanie. Un tel programme exigera pour être efficace, d’aller au-delà des actions classiques d’assistance technique et de renforcement des moyens et demandera le remplacement des responsables incompétents.


– Pour financer ces actions et les gérer de manière cohérente et non désordonnée, une solution efficace consisterait à constituer un fonds fiduciaire qui devrait viser à mobiliser sur une longue période des montants annuels de l’ordre de un à deux milliards d’euros. Ces sommes devraient venir pour une partie d’un regroupement des aides multilatérales actuellement affectés à ces pays mais qui sont dispersés et mal coordonnés afin de les intégrer dans une vision stratégique en fonction d’objectifs clairs. Afin de participer au contrôle de l’emploi des ressources correspondantes, à la définition des priorités et éviter le gaspillage des fonds comme en Afghanistan, la France devrait contribuer à ce fonds multi-bailleurs pour des montants significatifs ce qui impliquera des arbitrages difficiles sur le budget de la coopération.


– Pour coordonner tant l’action de ses propres administrations que pour assurer la cohérence globale de l’action militaire et de l’action civile qui seront conduites avec ses alliés et partenaires, le gouvernement devrait désigner au plus vite un coordinateur français de haut niveau capable d’imposer sa volonté aux administrations françaises concernées et de conduire un dialogue avec tous nos partenaires et les pays sahéliens. Un tel coordinateur doit être un responsable politique qui devrait disposer pour assurer son autorité d’un mandat clair et d’un accès direct privilégié aux plus hautes autorités.

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