ANALYSES

« La Corée du Nord est irrationnelle et imprévisible »

Presse
8 mars 2013

La tension semble critique dans la péninsule coréenne, après les menaces de Pyongyang de guerre "thermonucléaire". Sont-elles à prendre au sérieux? Question à Olivier Guillard, directeur de recherche à l’IRIS.


La situation semble critique. Qu’en est-il réellement? Les menaces de Kim Jong-Un sont-elles à prendre au sérieux?

Depuis plusieurs dizaines d’années, on est habitués à la rhétorique guerrière, menaçante, voire totalement surréaliste de Pyongyang, en fonction des pics de tension avec Tokyo, Séoul ou Washington. Mais cela faisait très longtemps, si tant est qu’on ait déjà vu ça, que la logorrhée officielle du régime nord-coréen s’emploie d’une façon aussi violente. "Washington sera engloutie dans une mer de feu": c’est presque du jamais vu.


À Séoul comme à Washington, les interlocuteurs ont tendance à prendre note du fait qu’on est entré dans un cran supérieur en termes de menaces qui, même s’ils en ont habitués, ne sont cette fois pas à prendre tout à fait comme les précédentes. En réussissant coup sur coup en décembre puis en janvier à réaliser un essai de tir de missile intercontinental, le premier, suivi d’un essai nucléaire plus important et visiblement mieux réussi que les deux premiers, la confiance à l’air d’être montée d’un niveau du côté de Pyongyang, désormais en position de pouvoir pousser un peu plus loin le bouchon de la menace, forts d’arguments nouveaux en terme de crédibilité.


Cette position demeure très risquée pour un pays qui n’a pas les moyens militaires de s’attaquer ni aux États-Unis ni à même à la Corée du Sud?

La Corée du Nord n’a évidemment pas les moyens de se lancer dans une telle attaque, ni vis-à-vis des États-Unis, ni vis-à-vis de son voisin la Corée du Sud, qui dispose d’un arsenal militaire conséquent, d’une force armée parmi les dix plus puissantes au monde, de troupes américaines sur son sol, et qui bénéficie du parapluie de protection nucléaire américain. Donc ce n’est pas une option pour la Corée du Nord.


La Corée du Nord peut gratuitement menacer son voisin du Sud, mais dans l’optique de ce qui ressemblerait à un début de conflit, ou un conflit, le pays n’aurait pas la moindre chance, même en ajoutant une dimension nucléaire, de sortir vainqueur.


L’attitude de Pyongyang donne l’impression d’un régime irrationnel, d’un dirigeant fou?

La question de savoir si les dirigeants nord-coréens sont totalement irresponsables se pose, quand on voit la façon dont est dirigé le pays depuis un demi-siècle, c’était le cas déjà sous le règne du père de Kim Jong-Un, Kim Jong-Il.


Là on a le sentiment qu’on est peut-être passé au-delà d’un cran supplémentaire, et que ce régime-là est encore plus anachronique et encore plus menaçant et déstabilisant que pouvait l’être le précédent trois ans plus tôt. Cela fait de la Corée du Nord un acteur irrationnel, imprévisible, et sur lequel la communauté internationale a en définitive très peu de prise.


Les sanctions n’ont pas d’efficacité contre la Corée du Nord?

On le voit bien: la résolution 2094 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée jeudi pour sanctionner davantage la Corée du Nord, n’a rien d’extraordinaire. On tente de resserrer un petit peu plus l’étau, mais avec finalement peu d’efficacité. Visiblement ces mesures, qui ont le mérite d’avoir été prises de façon unanimes, sont plus déclaratoires qu’elles n’ont matériellement la capacité d’influer de façon significative le cours des choses ou de faire plier Pyongyang, qui a de toute façon déjà l’habitude depuis un demi-siècle, d’être isolé sur la scène internationale.

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