ANALYSES

«La Corée du Nord pratique le marchandage, et cela fonctionne»

Presse
13 mars 2013
Barthélémy Courmont - JOL Press
Doit-on s’attendre à une escalade de tensions autour de la Corée du Nord ?

Sans aucun doute. La rhétorique aggressive de Pyongyang s’est accompagnée d’exercices militaires au Sud, impliquant des militaires américains, et du déploiement d’un dispositif d’urgence. Les communications sont bloquées entre les deux Corées, comme ce fut le cas en 2010, avant l’attaque contre l’île de Yongpyeong, la dernière de ce genre. Cette escalade ne se traduira pas forcément par une utilisation de la force, mais on cherche de part et d’autre à mettre en avant sa détermination.


Kim Jong-un pourrait-il mettre ses menaces à exécutions et entrer en guerre contre son voisin du sud ?

Je ne pense pas. Il sait que le rapport de forces ne joue pas en sa faveur. La Corée du Sud dispose d’une armée plus moderne, mieux équipée, mais aussi du soutien des Etats-Unis, et des 28 000 hommes postés dans la péninsule, auxquels peuvent le cas échéant s’ajouter les troupes stationnées au Japon. Le seul problème pour le Sud réside dans les conséquences d’une nouvelle guerre, qui seraient désastreuses. Séoul (l’agglomération regroupe la moitié des 50 millions de Sud-coréens) n’est qu’à 40 km de la zone démilitarisée, et à portée des missiles les plus rudimentaires de l’arsenal nord-coréen. En d’autres termes, Pyongyang ne veut pas la guerre car elle signifierait, avec l’engagement américain, la chute du régime, mais Séoul ne la souhaite pas non plus, en raison des dommages qu’elles engendrerait.


La Corée du Nord a-t-elle vraiment les capacités militaires pour frapper les Etats-Unis ?

C’est peu probable. Il lui faudrait pour cela des missiles ballistiques de longue portée. Pyongyang prétend en disposer, et pouvoir, en équipant ces missiles d’ogives nucléaires, frapper des cibles aux Etats-Unis, mais aucun missile de ce type n’a jamais été testé. Le régime reste cependant flou sur ses réelles capacités, de telle manière qu’on peut extrapoler sur la portée des missiles dont il dispose. Ceux qui seraient, aux Etats-Unis, tentés par des frappes préventives ne peuvent faire abstraction d’un risque qui, même mince, existe. On sait par ailleurs que la Corée du Nord dispose de missiles lui permettant de frapper n’importe quelle cible en Corée du Sud, mais aussi au Japon. Deux alliés de Washington, où des troupes sont par ailleurs stationnées. Ainsi, même sans hypothétiquement être en mesure d’atteindre les Etats-Unis, le régime nord-coréen peut lui causer des dommages très importants.


Comment, et par quels soutiens et alliés, la Corée du Nord est-elle parvenue à se forger son arsenal militaire ?

C’est l’URSS qui, pendant des décennies, a armé son allié nord-coréen. Les armes sont soviétiques (ce qui explique qu’elles soient vétustes, car aucun achat massif n’a été réalisé depuis vingt ans). Mais Pyongyang a également développé un savoir-faire remarquable en matière de développement de ses propres capacités, que ce soit en faisant évoluer les missiles soviétiques (notamment des scuds) ou en fabriquant des engins dits « indigènes », et sans soutien extérieur.


Une déclaration de guerre ne serait-elle pas suicidaire pour Kim Jong-un ? Avec toutes ces menaces, quel but Kim Jong-un cherche-t-il à poursuivre ?

Ce serait évidemment un suicide, et il le sait, comme son père le savait avant lui, quand il attaqua en novembre 2010 l’île de Yongpyeong et, quelques mois plus tôt, la corvette sud-coréenne Cheonan. Toute la stratégie de Pyongyang repose sur l’art délicat de la négociation, voire du marchandage. Pour ce faire, le régime doit mettre la pression sur ses adversaires, et multiplier les discours menaçants pour forcer la négociation à son avantage. Que cela plaise ou non, c’est un succès. Le régime est toujours en place, et chaque crise importante s’est soldée par une reprise des négociations sur les bases dictées par Pyongyang. C’est une stratégie dangereuse aussi, car la moindre faute signifierait la fin du régime. Mais quand on dirige un pays coupé du monde comme la Corée du Nord, quelles sont les autres options pour maintenir le régime en place ?


Dans le contexte actuel, quel jeu joue la Chine ? Ne devra-t-elle pas, si la situation se détériore, se désolidariser de la Corée du Nord afin de ne pas se mettre la communauté internationale à dos ?

Pékin a pris le soin de s’associer à la formulation des nouvelles sanctions frappant la classe dirigeante nord-coréenne, et ainsi se désolidariser d’un allié encombrant. La Chine a par ailleurs critiqué les trois essais nucléaires, et rappelé à plusieurs reprises la Corée du Nord à l’ordre. Mais dans le même temps, Pékin ne veut pas de changement majeur dans la péninsule, porteur d’incertitudes, mais qui briserait également un statu quo qui lui permet d’être l’intermédiaire entre Pyongyang et la communauté internationale et, dans le même temps, d’investir dans ce pays qui n’a pas d’autre partenaire économique. Pour Pékin, une Corée du Nord isolée, mais qui ne va pas jusqu’à la confrontation, est un scénario parfait qu’il ne faut pas bouleverser.

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