ANALYSES

Le « printemps français », une voie entre FN et UMP

Presse
19 avril 2013

Parmi les associations qui manifestent contre le mariage pour tous, la ligne politique fait débat. Au départ, le mouvement cherchait clairement à s’articuler avec l’UMP pour mettre en difficulté le gouvernement, tout en sachant que celui-ci ne reculerait pas et disposait de la majorité pour faire voter son projet. Il est donc probable qu’il visait dès le départ à se pérenniser au-delà du vote de celui-ci en élargissant ses revendications.




En témoigne le slogan du "meeting citoyen" tenu le 22 mars à Meaux en présence de Jean-François Copé : "Libérons la démocratie de la pensée unique ". Cependant le lien organique entre l’UMP et la Manif pour tous portait les germes de la radicalisation qu’incarne le Printemps français. Pour une partie du "peuple de droite", sensible aux messages de Nicolas Sarkozy, la ligne nationale-conservatrice, malgré l’influence de Patrick Buisson, n’est pas advenue, alors que la référence au gaullisme étant devenue pure incantation, elle était désormais possible. C’est à ce refus d’assumer qu’elle impute sa défaite en 2012. Dès lors, cette droite de plus en plus radicale veut se créer un espace dans l’angle mort existant entre l’UMP et un Front national trop jacobin, trop étatiste, trop plébéien. Le créneau est étroit mais il peut être occupé en faisant élire aux municipales de 2014 des militants gravitant autour du Printemps français et en cherchant à déplacer encore plus à droite le centre de gravité de l’opposition.




Le Printemps français est-il pour autant une déclinaison française du Tea Party américain (mouvement ultraconservateur) ? Des analogies existent : l’action comme groupe de pression sur la droite ; la détestation du socialisme, la mise en avant des valeurs conservatrices. Mais nous sommes en France, pays catholique où s’affrontent deux conceptions jamais réconciliées de la nation et du bien commun, qu’à gauche on nomme république et intérêt général. L’imprégnation catholique du Printemps français, davantage encore que celle de la Manif pour tous, est évidente. Pour ceux qui se retrouvent dans cette nébuleuse, le mariage pour tous est, comme naguère la loi Veil et le pacs, comme demain les propositions de loi sur la fin de vie, un projet qui sape les fondations mêmes de la société, une société qu’ils ne souhaitent ni contractuelle ni laïque.




Les dirigeants de ce mouvement, qui sont proches d’Ichtus (Institut catholique traditionaliste) ou d’autres groupes traditionalistes, pourraient faire leur l’affirmation de Jean Madiran dans son Maurras (Nel 1958) : "Entre la réforme des institutions politiques et la réforme des moeurs, il n’y a pas un ordre de succession temporelle et de causalité à sens unique. Il y a connexion organique et inter-causalité réciproque." Cela signifie que la volonté d’agir dans le domaine proprement politique est directement liée à une morale, à des principes transcendants qui découlent de l’ordre naturel que le catholicisme considère comme l’objectif de la vie en société et pour la restauration duquel les croyants doivent agir. Autour de cette vision des choses peuvent se retrouver aussi des héritiers intellectuels de l’Action française et des réactionnaires assumés qui, au-delà du mariage pour tous, veulent, comme François Marcilhac (un des éditorialistes de L’Action française 2000, maurrassien), que leur mouvement "s’attaque désormais à la racine du mal", c’est-à-dire "à une idéologie individualiste et constructiviste mortifère, dont l’actuelle gauche amorale n’est que l’avatar le plus abject".




Quelle est cette forme de gouvernement dont il faut démolir les bases ? C’est la démocratie représentative fondée sur le contrat social. Dans la critique ci-dessus énoncée, la gauche est attaquée la première mais la droite modérée ne l’est presque pas moins, tant la pensée contre-révolutionnaire et organiciste d’inspiration catholique voit les deux familles politiques comme résultant de la même erreur doctrinale : le libéralisme. C’est pourquoi les groupuscules d’extrême droite, loin d’être les initiateurs et les penseurs du mouvement en cours, ne font que profiter d’un effet d’aubaine pour gagner des militants et de l’exposition médiatique. Le coeur du sujet est bien davantage l’évolution doctrinale de l’Eglise depuis Jean Paul II, l’affirmation politique des catholiques qui en découle et les conséquences que cela peut avoir sur l’orientation idéologique de la droite. Peut-on voir naître une CSU à la française ?




Il est, disait Jean Bastien-Thiry (auteur de l’attentat contre le général de Gaulle en 1962 et fusillé en 1963) lors de son procès, des principes dont la violation met "la nation tout entière en péril de mort". Nombre d’acteurs de la radicalisation en cours ne pensent pas autrement. Ils se croient en guerre contre la subversion qu’incarne, selon eux, la gauche. Ils répondent avec le langage et, chez les plus exaltés, les velléités d’action propres à la doctrine de contre-subversion que l’ex-Cité catholique a laissée en héritage. Leur fascination pour la déstabilisation du gouvernement, voire de l’Etat montre qu’une certaine droite n’accepte toujours pas que la gauche, même démocratiquement élue, gouverne. Comme si, malgré l’existence d’une alternance depuis 1981, une frange de notre pays continuait à se voir comme seule détentrice de la légitimité nationale, et rejouait sans cesse le combat des "deux France".

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