ANALYSES

“La société française n’est pas pacifiée »

Presse
24 avril 2013
Jean-Yves Camus - La Provence

Chercheur, essayiste et politologue, Jean-Yves Camus tire les leçons d’un mouvement qu’il décrypte comme "l’affrontement de deux France".


Comment expliquez-vous que la contestation prenne une telle ampleur ?

Jean-Yves Camus : L’opposition savait que ce projet figurait dans les promesses de François Hollande. Et la gauche possède la majorité dans les deux assemblées. À partir de là, l’issue ne fait aucun doute. Cette réforme passera. On pourrait donc en conclure que cette mobilisation est incongrue. Au contraire, elle est logique. Pour l’UMP, après la désastreuse séquence Copé-Fillon, c’était le moment idéal pour profiter de la baisse de popularité de l’exécutif, et ainsi, de refaire une partie du chemin perdu. il y a, par ailleurs, une réaffirmation du catholicisme dans une partie de la jeunesse. Et quand il s’agit de mobiliser, avec des réseaux implantés sur l’ensemble du territoire, l’Église sait encore faire.


Pourquoi ce sujet mobilise-t-il autant ?

J.-Y.C. : C’est logique : nous sommes face à une question sociétale. La droite ne mobilise jamais des centaines de milliers de personnes sur d’autres thèmes, la taxe à 75 % par exemple. Le peuple de droite ne descend dans la rue que quand il a l’impression que le modèle civilisationnel qu’il défend est attaqué. C’est un trait culturel. On a connu le même schéma au moment du débat sur l’école libre ou, en 1975, pour la loi Veil.


La radicalisation de ces derniers jours est imputée à des groupuscules d’extrême droite ?

Ils sont dans leur rôle habituel, qui consiste à tirer profit de manifestations qu’ils n’organisent pas, en utilisant l’action violente. Chacun sait qu’ils ne sont pas autrement mobilisés par la question du mariage pour tous. Ce qui les mobilise, c’est quelque chose qui tient bien davantage de l’homophobie. C’est bien le danger pour le mouvement, dans son ensemble, qui n’applique pas de cordon sanitaire.


N’est-il pas en train de se créer, dans la rue, un pont entre le FN et la droite jusque-là refusé ?

Il y a quelque chose de cet ordre-là qui se joue. Un grand débat à droite : est-ce que Nicolas Sarkozy est allé au terme de sa démarche de droitisation ? Les gens dans la rue sont plutôt partisans de répondre ‘non’. Ils veulent que le centre de gravité de l’UMP se déplace encore sur la droite.


Certains évoquent déjà la possibilité d’un Mai-68 à l’envers. Vous y croyez ?

Dans l’immédiat, non. En 68, le contexte général était différent. Mais en terme d’évolution politique, on a affaire à des jeunes générations qui se retrouvent sur des valeurs conservatrices et veulent revenir sur la permissivité post soixante-huitarde. En réalité, la société française n’est pas aussi pacifiée qu’on le dit. Et ça fait deux siècles que ça dure. On a deux France qui s’affrontent : sur la question des valeurs, des catholiques contre les laïques, l’héritage des lumières…


Quelle trace laissera ce mouvement ?

La vraie question sera pour l’opposition : "En cas de victoire en 2017, reviendra-t-on sur un acquis de la loi ou l’abrogera-t-on ?". Je remarque que la gauche espagnole a adopté cette réforme, et qu’une fois au pouvoir, la droite espagnole, qui n’est pas moins droitière que l’UMP, n’est pas revenue dessus…

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