ANALYSES

Italie : « Berlusconi n’ira probablement pas en prison »

Presse
15 mai 2013
Par Fabio Liberti, directeur de recherche à l’IRIS
Condamné en appel à un an de prison pour fraude fiscale, Silvio Berlusconi a affirmé jeudi qu’il voulait "garder séparés" ses ennuis judiciaires et son rôle dans le gouvernement italien, dont il est le maillon fort. Mais la décision de la Justice italienne déstabilisera-t-elle la coalition? C’est une hypothèse évoquée par Fabio Liberti, chercheur à l’Iris et spécialiste de la vie politique italienne. Aurait-t-elle aussi un impact politique?

L’objectif de son retour, annoncé en décembre dernier, était justement de pouvoir continuer à jouer un rôle de premier plan sur la scène politique italienne, afin d’avoir un moyen de pression sur la magistrature. Il a réussi son pari : donnée à 11% dans les sondages, sa coalition a frôlé la victoire en février. Si on regarde les sondages actuels, elle est encore plus haut tandis que le Parti démocrate (de gauche, vainqueur des élections, Ndlr) est tombé à 22%. Sa formation politique, le Parti de la Liberté (PDL), et même une large partie de la classe politique ont conscience qu’une condamnation définitive de Berlusconi reviendrait à décapiter un parti politique qui est essentiel pour la survie même du gouvernement.

Quelle conséquence alors pourrait avoir la confirmation de cette condamnation?

La question est de savoir si Berlusconi a envie de jouer la confrontation frontale avec la magistrature. Si oui, il pourrait faire tomber le gouvernement en déclenchant de nouvelles élections. Ce serait peut-être un moyen pour lui de se mettre l’opinion de son côté. Mais la décision de convoquer de nouvelles élections appartient au président de la République italienne, Giorgio Napolitano.

«La survie du gouvernement ne dépend pas de celle du Parti démocrate, au contraire»Quelle marge de manœuvre a le Président?



Si Berlusconi joue la radicalisation en retirant sa confiance au gouvernement, la balle revient dans son camp. Il pourrait appeler à un autre vote mais aussi tenter de former un autre gouvernement. Dans ce cas, le Cavaliere pourrait se retrouver dans une situation de faiblesse puisque le dialogue entre le Parti démocrate et le Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo (dans l’opposition) pourrait se rouvrir. Giorgio Napolitano pourrait également démissionner (comme il a menacé de le faire avant la formation du gouvernement, Ndlr). Je ne suis donc pas sûr que Silvio Berlusconi se trouverait dans une situation meilleure qu’aujourd’hui.

Silvio Berlusconi aurait donc surtout intérêt à rester dans cette configuration actuelle?

Avec le gouvernement Letta, il a obtenu tout ce qu’il voulait. Il est unanimement reconnu comme le grand gagnant de la situation. Même s’il n’est pas au gouvernement, c’est lui qui tire les ficelles. En provoquant de nouvelles élections, il existe un risque que l’opposition à Berlusconi se radicalise. Un autre scénario évoqué est celui d’une nomination par Giorgio Napolitano de Silvio Berlusconi comme sénateur à vie. Dans ce cas, ce serait un signal très fort envoyé à la magistrature car le chef de l’Etat italien est aussi le président du Conseil supérieur de la magistrature. Mais elle pourrait être potentiellement assez déstabilisante. Comment expliquer aux citoyens qu’un des leurs est au-dessus de la loi? Cela donnerait des ailes au Mouvement cinq étoiles.

Mais Silvio Berlusconi ne peut-il pas protéger ses intérêts judiciaires au sein de la coalition gouvernementale actuelle?

La magistrature est censée être indépendante. Bien sûr, à l’époque, les gouvernements Berlusconi votaient des lois sur mesure pour bloquer les procédures. Mais je pense que le gouvernement d’Enrico Letta ne résisterait pas à ce genre d’initiative. Le Parti démocrate, dont est issu le Président du Conseil, exploserait et menacerait la majorité parlementaire. La survie du gouvernement ne dépend pas de celle de la formation de gauche, au contraire. C’est ce qui rend justement la situation actuelle très complexe. Et puis, Beppe Grillo a axé tout sa campagne sur la thématique du "tous pourris". Il ne se privera pas de signaler cette situation si elle se produit.
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