ANALYSES

Energie : l’Europe peut-elle encore longtemps continuer à ignorer la révolution qui sort les Etats-Unis de la crise ?

Presse
22 mai 2013
Le sommet européen s’ouvre ce mercredi à Bruxelles. Le Conseil européen, qui regroupe les chefs d’Etats et de gouvernements, se penchera sur la lutte contre la fraude fiscale et… la politique énergétique. Alors que la croissance américaine a été de 2,5% au premier trimestre en rythme annuel, la zone euro est entrée en récession et la plupart des grandes économies sont dans le rouge. Quel est l’impact réel de la révolution énergétique américaine sur la croissance et l’économie américaine ?

Le terme "révolution" est peut-être excessif mais on peut parler sans se tromper de renaissance industrielle. L’essor des gaz de schiste a d’une part fortement diminué la facture électrique d’une partie des industriels américains mais à également relancé la filière pétrochimique. De même, les Etats-Unis se préparent à utiliser les terminaux GNL [gaz naturel liquéfié, ndlr] qu’ils avaient installés autrefois pour retransformer du gaz importé, pour en exporter vers d’autres marchés, européen notamment. Cette renaissance se matérialise donc par des gains de compétitivité considérables pour l’industrie américaine qui sera, à terme, en mesure de fabriquer des produits sur son sol et de les exporter vers l’UE en étant moins cher que ses concurrents européens. Plusieurs questions restent toutefois en suspens, notamment la durée de cette renaissance et sa durabilité.

Le boom des gaz de schiste crée certes des emplois, fait des heureux du fait du code minier américain qui, contrairement à ses homologues européens, fait de chaque propriétaire terrien le propriétaire du sous-sol, qui perçoit donc une partie des recettes liées à l’exploitation des gisements découverts sous son terrain. Toutefois, les impacts environnementaux commencent à se faire sentir, les opposants à l’exploitation des gaz de schiste s’organisent et leur discours a davantage de résonance désormais. Il n’est donc pas certain que les conditions d’exploitation économique "optimales" perdurent et ne soient pas mises à mal par des réglementations plus sévères et respectueuses de l’environnement, ce qui est à souhaiter.

En quoi l’avenir de l’Europe est-il aussi énergétique ? Quels pays y sont favorables ? Quel sont les grands enjeux géostratégiques qui se cachent derrière ?

Avant même l’avenir, c’est le présent de l’Europe qui est énergétique mais des problèmes de fond demeurent. L’UE n’est pas compétente pour imposer des orientations aux Etats dans leur mix énergétique, elle peut seulement fixer des objectifs tels ce pour 2020 qui seront d’ailleurs difficiles à atteindre. Les différences de mix sont telles que penser et organiser une convergence à l’échelle européenne reste très illusoire. Comment faire lorsque l’Allemagne décide unilatéralement sa sortie du nucléaire, qui est la principale source d’électricité de la France, pour importer massivement du charbon américain à bas coût – qui mine son bilan carbone par ailleurs – qui est la base du mix énergétique polonais, etc. Peut-on organiser une sécurisation des approvisionnements au niveau communautaire ?

Les Européens ont essayé de porter le gazoduc Nabucco pour se désengager de la dépendance vis-à-vis de la Russie mais le projet qui est aujourd’hui opérationnel depuis 2011, et dans lesquels certaines entreprises européennes (Wintershall Holding et GDF Suez) ont une participation, reste Nordstream – tube reliant la Russie à l’Allemagne en évitant le nœud ukrainien – qui est approvisionné par du gaz russe… Les intérêts nationaux sont tout simplement divergents, tout comme l’illustre les âpres négociations qui ont eu lieu entre les Etats membres concernant la position à adopter vis-à-vis de l’Iran et la mise en place de l’embargo sur les hydrocarbures en juillet 2012 contre lequel la Grèce, en position de faiblesse, s’était malgré tout élevé du fait des livraisons de pétrole et gaz iraniens qu’elle recevait. En Europe, l’énergie est avant tout affaire de souveraineté qui n’est pas l’amie du multilatéralisme.

Alors que le Conseil européen souhaite désormais se pencher sur la question, pourquoi l’Europe peine à définir une véritable politique énergétique ? A quoi celle-ci pourrait-elle d’ailleurs ressembler ?

Considérant les obstacles à l’établissement d’une politique européenne en matière énergétique, il faut pour l’instant se contenter de collaborations dans lequel l’UE peut rencontrer des succès, notamment une politique de recherche et développement ambitieuse. L’UE s’est déjà positionnée avec le programme horizons 2020 et se doit de mettre de l’argent sur la table en ce qui concerne l’isolation/rénovation du bâti existant et le stockage de l’énergie, dont on ne peut faire l’économie si l’on veut obtenir des résultats pour les énergies renouvelables dont on néglige dans le débat publique le caractère intermittent.

Le partenariat avec la Russie est très important mais le manque d’investissement de Moscou dans l’entretien des infrastructures réseau et pour le développement de nouvelles capacités de production, nécessaires du fait du tarissement à venir de ses principaux gisements, pourraient menacer le position dominante russe sur le marché européen. D’autant plus que le Qatar est en train de développer une politique d’exportation de GNL tout azimut via méthanier.

L’ère de l’énergie bon marché est cependant terminée pour la plupart des consommateurs, ou condamnée à s’achever un peu plus tard pour certains. Il faut désormais investir dans l’amélioration des capacités de production des renouvelables, dans l’isolation du bâti, dans la production et la réalisation de normes de construction et de rénovation ambitieuses et travailler au verdissement des énergies fossiles, irremplaçables pour l’instant (transports et plastique) et avec lesquelles nous serons encore obligés de composer pour de nombreuses décennies. La France dépense chaque année plus de 60 milliards d’euros (soit 77 milliards de dollars, l’équivalent du PIB de la Serbie ou du Kenya) pour son gaz et son pétrole. Jusqu’à quand pourra-t-elle le faire. C’est la question qui doit animer nos décideurs, qui se doivent pour leur part de retrouver vision et courage politiques.
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