ANALYSES

«Les Iraniens ne croient pas à un « Printemps » chez eux»

Presse
5 juin 2013

Qui pour succéder à Mahmoud Ahmadinejad en Iran ? La question sera tranchée mercredi 13 juin, à l’issue de l’élection présidentielle. Mais si, des huit candidats en lice, aucun ne s’est arrogé une réputation de favori pour le moment, une chose est sûre, le vainqueur aura été soigneusement choisi par le régime islamique. Pour ne pas retomber dans le piège de la révolte populaire de 2009, la république islamique a décidé d’éliminer tous les candidats gênants, avant le scrutin. Une stratégie qui ne laisse pas les Iraniens indifférents et pour Karim Pakzad, expert de la question iranienne à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), cette année, les Iraniens n’iront pas voter.


Dans quel état d‘esprit les Iraniens vont-ils voter. Ont-ils encore confiance dans les urnes ?

Les fraudes massives des élections de 2009 et la répression brutale qui l’a suivi a fait perdre au régime islamique le peu de légitimité qu’il avait encore auprès de la population. Bien entendu, ce constat ne prend pas en compte la base électorale du régime qui peut encore compter sur une assise qui représente entre 10 et 15% de la population. Cette frange de la population fera toujours tout pour défendre le régime et approuver l’élimination des opposants politiques.

Parmi eux, les milices islamiques, les gardiens de la révolution et une partie de clergé et leur entourage représentent plusieurs millions de personnes. Ceux qui ont vu leurs votes confisquées au profit du candidat du régime, Ahmadinejad, et leur mouvement de protestation réprimé dans le sang, n’ont plus envie d’aller voter. Mais le taux réel de la participation dépend également de la forme que prendra la campagne électorale.


Ce sentiment a-t-il été renforcé par l’annulation de certaines candidatures par le Conseil des gardiens de la constitution ?

Les Iraniens auraient pu retrouver cette confiance si le candidat Rafsandjani avait eu le droit de se présenter. Mais ce dernier était dangereux. Sans être un vrai démocrate et réformateur, c’est une personnalité pragmatique qui aurait pu être utile pour l’Iran qui connait une situation économique, sociale et politique désastreuse, conséquence de la politique gouvernementale et des sanctions internationales. Il a été soutenu cette fois par les réformateurs et aurait réuni une large part de l’électorat des classes moyennes, des jeunes, qui avaient encore l’espoir de changer l’Iran.

L’invalidation de sa candidature témoigne une nouvelle fois de la volonté des durs du régime de ne pas partager ne serait-ce qu’une petite parcelle de son pouvoir. Le Conseil des gardiens a tout simplement invalidé tout ce qui représentait une certaine alternative. Parmi les huit candidats encore en lice, il ne reste que deux réformateurs qui n’ont clairement aucune chance de gagner, sauf si les candidats de droite continuent de se diviser et que les réformateurs se mobilisent en faveur de l’un d’entre eux. Les autres candidats sont politiquement très proches du guide et comme à son habitude, ce dernier attendra le dernier moment pour désigner le favori parmi les différents noms qui circulent.


Le Conseil des Gardiens de la Constitution, en agissant ainsi, cherche-t-il à éviter un soulèvement post-électoral comme en 2009 ?

Si Hachemi Rafsandjani avait été candidat, il aurait sans doute gagné et le guide aurait encore perdu son contrôle total sur l’exécutif. Si, comme en 2009 le peuple s’était soulevé contre les fraudes constatées, l’usage de la force aurait été inévitable. Et justement, le régime islamique fait tout pour éviter le moindre mouvement de foule. Déjà plusieurs membres de l’équipe de M. Rouhani, candidat proche des réformateurs ont été arrêtés

Avant les élections, 300 000 membres des forces de l’ordre ont été déployés pour encadrer le scrutin, et ce simplement parce que deux candidats, réformateurs, qui bien que n’ayant que peu de chance de gagner, pourraient réunir les électeurs qui veulent du changement en Iran. Le régime iranien est fondé sur la force et l’Iran ne pouvait pas se permettre de répéter 2009. Le régime a donc préféré ne pas laisser de candidats sérieux et gênants se présenter.


Peut-on néanmoins s’attendre à une réplique de 2009 ? Les Iraniens pourraient-ils de nouveau se soulever contre le régime ?

Non. Les Iraniens, la jeunesse notamment, ne croient plus en un éventuel printemps iranien. L’Iran n’est ni l’Egypte, ni la Tunisie. Le régime islamique est fondé sur un appareil répressif sans commune mesure et dans lequel aucune manifestation de ce genre ne peut être tolérée.

Les Iraniens l’ont déjà constaté, en 2009 les manifestations pacifiques en Iran sont réprimées dans le sang par le régime. S’il n’y a plus d’alternatives, une partie des jeunes ne pensent qu’à quitter le pays parce que tout espoir a disparu. Cette année, les jeunes n’iront pas voter et nous savons déjà que les journalistes étrangers seront contrôlés très sévèrement pour que ne soient pas diffusées les images des bureaux de vote vides.


Quel que soit le résultat, peut-on croire que l’élection d’un nouveau président changera la donne au niveau international, qu’il s’agisse de la Syrie ou du dossier nucléaire ?

Les conditions économiques et financières de l’Iran sont catastrophiques. Les sanctions internationales ont fait tomber une chape de plomb sur le pays qui ne peut plus subvenir à ses besoins. L’Iran a perdu 50 milliards de dollars de revenus pétroliers en 2012.

L’Iran, qui vit de son pétrole, ne peut même plus récupérer l’argent qui lui est dû parce que les sanctions bancaires bloquent l’argent des ventes. Le régime est désormais obligé de pratiquer le troc, notamment avec l’Inde et la Chine. Le concept étant d’échanger du pétrole contre des produits alimentaires, des articles de consommations et des médicaments. Même si les Etats-Unis ont décidé de lever les sanctions internationales sur les téléphones portables, les ordinateurs, les produits alimentaires et les médicaments, l’Iran est très fortement pénalisé, car en même temps les Etats-Unis ont élargi les sanctions sur les produits pétrochimiques. C’est une situation qui ne peut que durer, si une solution n’est pas trouvée sur le dossier nucléaire iranien. Pourtant, certains observateurs pensent qu’après ces élections, il y aura sans doute des gestes afin que la situation devienne plus détendue avec la communauté internationale. Espérons-le. Qu’il s’agisse de l’Iran ou de l’Occident, il faudra bien que quelqu’un fasse un pas pour trouver un terrain d’entente.