ANALYSES

Iran: une élection présidentielle verrouillée?

Presse
5 juin 2013
Les Iraniens se préparent à élire le 14 juin leur nouveau président de la République, après deux mandats très controversés d’Ahmadinejad qui ne pouvait pas se représenter en vertu de la Constitution.

Même si le président de la République est soumis à la volonté du Guide suprême ayatollah Ali Khamenei, maître de toute décision dans la vie politique iranienne, la campagne présidentielle en Iran est un moment d’exercice "démocratique" intéressant et parfois important. Evidemment, il ne s’agit pas d’une véritable démocratie. Si tous les Iraniens peuvent théoriquement se présenter à l’élection présidentielle, dans les faits, les femmes en sont exclues. Depuis l’existence de la république islamique, il n’est jamais arrivé que la candidature d’une femme soit retenue. Le Conseil des gardiens de la Constitution aux mains des durs du régime sélectionne les candidats selon des critères non objectifs, ce qui prime, c’est la fidélité au régime islamique, autrement dit, au Guide de la République. Cette année, parmi plus de 600 candidats, seulement huit hommes ont obtenu le droit de participer au scrutin.

Parmi les recalés, ce qui retient l’attention aussi bien en Iran qu’à l’étranger et qui a surpris les Iraniens et les observateurs, c’est l’invalidation des candidats les plus sérieux, en particulier celle de Hachémi Rafsandjani. Il fut très proche de l’ayatollah Khomeyni, fondateur de la République islamique, deux fois président entre 1989 et 1997, commandant en chef au moment de la guerre Iran-Irak et le Guide actuel lui-même lui doit son élection après la mort de Khomeiny.

Cette invalidation révèle que les durs du régime ne sont pas prêts à des ouvertures et des concessions dans une situation où l’Iran est confronté à une crise économique, sociale et politique sans précédent, conséquences des sanctions internationales, de la mauvaise gouvernance et de la politique populiste d’Ahmadinejad.

Rafsandjani n’a pas une réputation de démocrate ou de réformateur. Mais il est connu pour son pragmatisme et son sens du compromis. C’est lui qui a sorti l’Iran de son isolement dans les années 1990 après la guerre Iran-Irak et qui a normalisé les relations avec l’Occident. L’invalidation de la candidature d’une telle personnalité sous le prétexte qu’il n’est pas fidèle au régime islamique relève du fantasme. La réalité est que les durs du régime iranien, s’appuyant sur les gardiens de la révolution (les pasdarans), les milices et les milieux religieux les plus conservateurs, sont pourtant conscients de leur impopularité. Une ouverture politique à l’intérieur et à l’extérieur pourrait ainsi sonner leur glas. Malgré le traumatisme qu’a subi la société iranienne après l’élection frauduleuse d’Ahmadinejad, protégé du Guide en 2009 mais aujourd’hui rejeté par lui, et la répression sanglante des manifestants qui protestaient contre la confiscation de leur victoire à savoir l’élection de Mir Hussein Moussavi, le régime a peur de la société civile qui reste dynamique en Iran.

Certains observateurs estiment que le rejet de toute ouverture à l’intérieur signalé par l’invalidation de la candidature de Rafsandjani, et une politique de non concession sur le dossier nucléaire dans les négociations avec le groupe 5+1, s’explique probablement par l’idée que le régime iranien penserait que l’accès à la bombe nucléaire est proche ce qui le mettrait à l’abri d’une intervention étrangère.

En invalidant la candidature de Rafsandjani, le régime a pris un risque considérable. Le guide est très attaché à présenter la participation à l’élection présidentielle comme l’adhésion de la population au régime. Or, l’absence de Rafsandjani qui jouit d’une large assise auprès des commerçants du Bazar, des couches moyennes et d’une partie importante des religieux traditionnalistes, peut augmenter le taux d’abstention. D’autant plus que cette fois, Rafsandjani avait le soutien des réformateurs, en particulier de l’ancien président Mohamad Khatami.

Le régime a donc tout fait pour écarter la moindre possibilité pour que le pouvoir exécutif échappe au clan des durs qu’on appelle en Iran Usulgarayan (fidèle aux principes). Plusieurs candidats appartenant aux différentes branches d’usulgarayan sont présents. Si Saïd Jailli, champion de la droite conservatrice et actuel chef de la délégation iranienne aux négociations nucléaires part favori, Mohssen Qalibaf, actuel maire de Téhéran est aussi un candidat sérieux, sans parler de Ali Akbar Velayati, conseiller du Guide pour les Affaires internationales ou de Hadad Adel, l’ex-président du Parlement. Pour le moment, ces candidats représentant le même courant usulgarayan n’ont pas renoncé à favoriser l’un ou l’autre. Il y a aussi deux candidats centristes et proches des réformateurs, Hassan Rouhani et Mohamad Reza Aref, qui pourraient bénéficier de la division de la droite extrémiste.

Dans le passé, on a été témoin de grandes surprises pendant la campagne électorale. En 1997, Mohamad Khatami, un candidat presque inconnu, a mené une campagne fondée sur les réformes et le soutien des jeunes et des femmes. A la surprise générale, il a battu le candidat de l’appareil dès le premier tour avec un score de 75 %. Les jours prochains, une fois la campagne en marche, il n’est pas exclu d’assister à d’autres surprises, sauf si le régime décide d’intervenir ouvertement en faveur d’un candidat qui, comme Ahmadinejad, n’aura aucune légitimité s’il est élu.