ANALYSES

Discussions entre Américains et talibans: «Le risque d’une guerre civile afghane est important»

Presse
19 juin 2013

John Kerry parle d’une bonne nouvelle. Le secrétaire d’Etat américain le confirme pour la première fois depuis les attentats du 11-Septembre : les Etats-Unis vont parler avec les talibans afghans. Une première rencontre est prévue dans les prochains jours à Doha. Karim Pakzad, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), évoque cette rencontre sur RFI.


 


Comment faut-il intituler les échanges entre les Etats-Unis et les talibans ? S’agit-il de discussions ? De négociations ?



Pour l’instant, il s’agit vraiment d’une discussion, d’un dialogue, d’un échange entre les talibans et les Etats-Unis. Il faut souligner que cela dure depuis plus d’un an au Qatar. Ce qui est important, c’est que hier, on a assisté à l’ouverture officielle non pas d’un bureau de liaison des talibans mais de la représentation de « l’Etat islamique » ou de « l’émirat islamique », le nom que les talibans donnait à leur régime avant leur chute. Ce qui signifie que les Américains sont maintenant prêts à reconnaître qu’il existe bel et bien un régime, même s’il a été renversé, et que ce régime fait partie du conflit.


Vous dites que ces pourparlers n’ont rien de nouveau. Cela fait déjà des mois, selon vous, que les Etats-Unis et les talibans discutent ?



Absolument. Ils discutaient mais il y avait eu quelques problèmes, qui les ont empêchés d’aller plus loin. Premier problème : l’attitude du Congrès américain vis-à-vis des prisonniers talibans, l’une des revendications de ces derniers pour amorcer véritablement des négociations avec Washington. Deuxième obstacle : le gouvernement de Kaboul s’opposait aux négociations et au dialogue direct entre Washington et les talibans. Il semblerait que, bientôt, les Etats-Unis vont libérer les prisonniers talibans, ce qui a favorisé l’ouverture de ce bureau. Mais l’élément essentiel, c’est que le gouvernement de Kaboul est marginalisé, de plus en plus isolé. Il n’arrive pas vraiment à imprégner sa marque dans les négociations politiques qui s’engagent entre deux « partenaires » de conflit : les Etats-Unis et les talibans.


Sur quelle base se fait-il ce dialogue ? De quoi peuvent bien parler les Etats-Unis et les talibans lorsqu’ils se retrouvent ?



Il y a d’abord ce qui a été avancé théoriquement. Les Etats-Unis ont demandé trois choses aux talibans : de rompre avec la lutte armée, de rompre avec al-Qaïda et d’accepter la nouvelle Constitution afghane. Ce sont des conditions posées par les Etats-Unis. Or, de leur côté, les talibans ont avancé cinq revendications pour l’ouverture de ce bureau, dans lequel on voit essentiellement qu’ils cherchent à débarrasser, d’après leurs termes, « l’Afghanistan de l’occupation étrangère ». Ils n’accepteront pas de négocier avec le régime de Kaboul, qu’ils considèrent comme fantoche. La seule concession que les talibans ont fait aux Américains, c’est de dire que probablement, un jour, s’ils pensent que c’est indispensable, ils pourraient négocier avec les autres Afghans – sans nommer le régime de Kaboul. Donc, aujourd’hui, les négociations s’engagent bel et bien entre les Etats-Unis et les talibans, ce qui est porteur d’un danger extrêmement important en Afghanistan. La majorité des Afghans, notamment les anciens chefs de guerre, les moudjahidines, sont tout à fait opposés à ces négociations.


Et les talibans, en même temps qu’ils ont marqué des points politiques, ont aussi marqué des points sur le plan militaire. Non seulement ils ont assassiné, encore hier soir, quatre soldats américains, mais le même jour, ils ont commis un attentat-suicide contre Mohammad Mohaqeq, l’un des plus puissants chefs de l’opposition anti-talibane et anti-Hamid Karzaï, c’est-à-dire l’opposition qui revendique aujourd’hui le pouvoir après les prochaines élections.


En définitive, ce que l’on comprend, c’est que les insurgés afghans sont loin d’être un bloc monolithique. Admettons qu’un accord de paix, une sorte de cessez-le-feu, soit signé à l’issue de ces pourparlers. Rien ne dit que cela se vérifierait ensuite sur le terrain en Afghanistan, n’est-ce pas ?



Aujourd’hui, de plus en plus, les insurgés sont monolithiques. Après l’affaiblissement des organisations liées à al-Qaïda, les talibans apparaissent aujourd’hui comme la force principale des insurgés. Mais c’est au sein de l’opposition aux talibans, à savoir le gouvernement de Kaboul et les partis, les forces politiques légales en Afghanistan, qu’il y a des divergences. Aujourd’hui, la plupart des partis politiques ex-moudjahidines refusent les négociations, aussi bien avec les talibans qu’avec Hamid Karzaï. C’est la raison pour laquelle si ces négociations, ces pourparlers entre les Etats-Unis et les talibans, ne se passent pas bien, le risque d’une nouvelle guerre civile en Afghanistan est beaucoup plus important que la recherche d’une solution politique, somme toute assez problématique. Les Etats-Unis restent en tout cas prudents. Barack Obama l’a redit : c’est un parcours très difficile qui commence.