ANALYSES

« Des élargissements étroitement liés à ceux de l’Otan »

Presse
1 juillet 2013
Interview de Pierre Verluise, directeur de recherche à l’IRIS, par Jean-Marie Decorse
La Croatie, 28e pays de l’Union. Cette entrée officielle, jusqu’à ces derniers jours, n’a pas éveillé un grand intérêt ?

C’est vrai. Voilà qu’on intègre une nouvelle fois un pays plus pauvre que la moyenne de l’Union européenne. Plus le pays s’est rapproché de la date d’adhésion, plus les Croates sont devenus critiques, nostalgiques d’une souveraineté qu’il va leur falloir partager et réinventer. Pour les 27 autres pays, on sent depuis des années une fatigue face aux élargissements à de nouveaux États, comme une forme d’indifférence. Au lieu de se frotter à cette réalité, les autorités politiques préfèrent passer le sujet sous silence. Jusqu’à maintenant, on a tout fait pour en parler le moins possible. L’UE s’est tue, même si les Croates savent bien que leur dossier est loin d’être parfait en matière notamment de lutte contre la corruption, contre la criminalité organisée, avec également une justice totalement dépendante.


Le poids des mémoires des guerres balkaniques continue-t-il à peser ?



On a tendance à l’oublier. Il n’empêche que, sur place, ces mémoires sont à vif, faciles à manipuler. On peut très bien envisager que dans 5 ou 10 ans, quelqu’un rallume la flamme. L’autre difficulté tient à une autre réalité : on s’est aperçu, comme c’est le cas avec la Hongrie, qu’un pays entré dans l’UE peut très vite sortir du cadre sans qu’il soit capable de le ramener dans le droit chemin. La Hongrie, entrée dans l’UE en 2004, a pris en 2010 une voie qui l’éloigne de tous les traités communautaires. Tout laisse à penser que le chef du gouvernement Viktor Orban sera réélu. Or, il a une pratique politique qui l’éloigne de la démocratie. Depuis 3 ans, la Hongrie est sortie des clous et concrètement, l’UE n’a pas su la ramener à la raison européenne. Cet exemple-là (on pourrait y ajouter celui de la Bulgarie ou de la Roumanie) témoigne du fait que l’adhésion d’un Etat-membre n’est pas une mince affaire, un coup pour voir. Quand un pays est dans l’UE, il est très compliqué de le mettre dehors. L’UE ne sait pas faire.


Mais, ces dernières heures, l’UE ne cesse de se féliciter de cette entrée ?



Je souhaite que les choses se passent merveilleusement car c’est dans l’intérêt de tout le monde. Mais reconnaissons que ces élargissements ne s’attirent pas une grande ferveur populaire. Bruxelles donne l’impression d’avancer comme un rouleau compresseur sans se poser la question de savoir ce que pensent les uns et les autres. Cela démontre au plan géopolitique que ces élargissements de l’UE sont étroitement liés eux-mêmes aux élargissements de l’OTAN. Il y a une sorte de division informelle du travail. L’Otan assure la sécurité quand l’UE gère les «assiettes». À vrai dire, ce sont les élargissements de l’OTAN qui ont contribué à déterminer le périmètre et accélérer le tempo de ceux de l’UE. Cette quasi-règle s’applique pour la Croatie, membre de l’OTAN depuis 2009. En somme, c’est comme s’il existait un accord passé entre les USA et l’UE pour pacifier en quelque sorte le continent européen. Si on y réfléchit à froid, ce n’est pas vraiment choquant, mais on ne l’explique pas assez à la population, au risque de provoquer des effets en retour avec un sentiment de malaise, une faible participation aux élections européennes, ou encore la naissance de mouvements populistes.