ANALYSES

Morale à géométrie variable : petit panorama des ventes d’armes interdites réalisées par les Occidentaux

Presse
13 septembre 2013
Le traitement actuel de la crise syrienne par la communauté internationale semble ramener la problématique de la fourniture d’armes à une question d’ordre moral. Qu’en est-il réellement ? Est-il question de principes ou d’intérêts ?



Jean-Vincent Brisset : Les ventes d’armes à des pays étrangers ont toujours été liées à un mélange complexe de considérations purement matérielles et de recherches d’influences politiques. La "moralité" de ces ventes est une conception relativement récente, qui est le plus souvent employée non pas pour justifier ses propres ventes, mais pour disqualifier celles –immorales bien entendu- faites par un adversaire ou à un adversaire.




On a toutefois quitté le système des marchands d’armes, privés, qui revendaient à qui pouvait payer tous les surplus de guerres sur lesquels ils pouvaient mettre la main, même si des dérives subsistent. Les ventes d’armes sont, de plus en plus, l’objet d’un vrai contrôle de la part des Etats producteurs. Elles sont aussi –théoriquement- encadrées par un certain nombre de règles et de Traités internationaux qui limitent ou interdisent les ventes de certains types d’armes.


 


Aujourd’hui qui vend quoi à qui et dans quelles circonstances ? Pour quels enjeux diplomatiques ?



Actuellement, les ventes d’armes par les grandes nations représentent –d’abord- un enjeu économique majeur, qui se chiffre en dizaines de milliards de dollars. En volume, la majorité ces ventes concernent des matériels sophistiqués qui sont vendus à des nations responsables et capables d’en assurer le contrôle, ce qui en fait une marchandise presque banale. La plupart des ventes sont de plus généralement assorties d’une clause de non réexportation. L’intérêt politique et diplomatique de ces grands contrats est de s’assurer une certaine exclusivité et de créer une dépendance des acheteurs, double dépendance tant vis-à-vis de l’industriel vendeur que vis-à-vis de son pays. Un matériel majeur est en effet tributaire, pour rester opérationnel, de rechanges, d’évolutions et souvent même d’une aide technique que le vendeur peut arrêter à tout moment s’il désapprouve la politique de son client. On se souvient du Général de Gaulle mettant l’embargo sur les ventes de Mirage V à Israël ou des Etats-Unis bloquant ses exportations vers le Pakistan.




Les grands problèmes sont situés aux deux bouts de l’échelle. D’un côté celui de la prolifération, qui voit certains pays exporter des vecteurs et des armes qui sont des moyens de destruction massifs. De l’autre, le commerce des "petites armes", ces armes individuelles et ces munitions, qui sont celles qui causent le plus de morts, en particulier dans les guerres civiles.


 


Dans quelles mesures les conventions internationales sont-elles respectées ?



Les conventions internationales n’interdisent que les ventes de certaines armes et moyens de production d’armes. Il arrive que des résolutions de l’ONU interdisent aussi parfois à certains pays, comme la Corée du Nord, de pratiquer tout commerce d’armement. Le premier problème est que ces conventions et Traités n’ont pas été signés et/ou ratifiés par tous les pays et qu’il est souvent difficile de faire respecter les résolutions de l’ONU, y compris par ceux qui les ont approuvées. Le Traité sur le commerce des armes, adopté en avril 2013 après de laborieuses négociations, n’a encore été ratifié que par une petite poignée d’états. Outre le fait que les Etats non signataires des différents textes s’autorisent à développer pour eux même des armements interdits, armes de destruction massive en particulier, cela leur permet aussi d’exporter, de manière plus ou moins visible, toutes sortes d’armes et de fournir des clients peu recommandables.




Une intéressante avancée a aussi été tentée qui visait à interdire la corruption dans les marchés d’armement. Dans la réalité, on constate que les exportateurs se plaignent d’être pénalisés s’ils respectent ces règles et qu’ils accusent systématiquement leurs concurrents de manœuvres déloyales.


 


Peut-il en être autrement ? Le marché des armes est-il "régulable" ? Pourquoi ?



Dans un monde idéal, le marché des armes serait régulable. Mais dans un monde idéal, les armes ne seraient pas nécessaires. Les pays les plus respectables de la communauté internationale affichent en permanence une volonté de limiter le commerce des armes au "strict nécessaire" et de n’exporter que des armes conformes en direction de pays responsables. Dans la réalité, toutes ces notions de strict nécessaire, conformité et responsabilité sont bien subjectives et ne pèsent souvent pas lourd face aux réalités économiques et aux ambitions politico-diplomatiques. Les fournitures d’armes aux rebelles afghans (à l’époque de l’occupation soviétique), libyens, syriens ou autres sont considérées par certains Occidentaux comme parfaitement légitimes, alors que l’U.R.S.S. ou la Chine ont autrefois jugé comme tout aussi légitime la fourniture de matériels à la plupart des mouvements indépendantistes "anticolonialistes". 

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