ANALYSES

«La priorité nationale reste l’épine dorsale du FN»

Presse
11 octobre 2013
Marine Le Pen est-elle d’extrême droite ?



Sans aucune contestation possible. Et, si ce n’est ni un parti fasciste ni un parti néonazi, le FN trouve sa source dans l’extrême droite traditionnelle, c’est irrémédiable. Une bonne partie de ses électeurs accepte d’ailleurs ce qualificatif. La direction de leur parti voudrait-elle leur dicter ce qu’ils pensent d’eux-mêmes et de la formation à laquelle ils appartiennent, pour laquelle ils votent ?


Quels sont les principaux marqueurs de l’extrême droite de Marine Le Pen ?



La volonté de remplacer la démocratie représentative par la démocratie directe. La mise en opposition d’un peuple naturellement sachant avec des élites dévoyées et corrompues. La distinction juridique faite entre les nationaux et les étrangers. L’opposition à toute forme de supranationalité, ce qu’il ne faut pas confondre avec le souverainisme et le protectionnisme, qui ne sont pas d’extrême droite. (Photo Iris)


Jean-Marie Le Pen avait déjà tenté de décoller du FN l’étiquette d’extrême droite…



Oui. L’idée du Front national, c’est d’expliquer : nous ne sommes ni de droite ni de gauche, nous sommes le peuple. D’où nous parlons ? Du peuple. A qui parlons-nous ? Au peuple. Ce que nous voulons ? Ce que veut le peuple.


Quelles ruptures entre le Front national de Marine Le Pen et celui de son père ?



La rupture est incomplète. En Italie, quand Gianfranco Fini décide de changer le MSI, il condamne clairement le fascisme, il condamne les lois raciales. Sa mutation peut être étayée par des dizaines de déclarations, par une pratique gouvernementale… Il n’y a pas, chez Marine Le Pen, de démarche similaire. Lorsque Jean-Marie Le Pen parle du «point de détail», de «l’inégalité des races», de l’occupation allemande, elle n’a pas dit : «Je condamne.»


Quels sont ses thèmes de prédilection ?



Le registre de la décadence, celui de l’invasion, celui de l’incompatibilité entre une appartenance ethnique ou religieuse et l’appartenance à la nation française. La nouveauté, avec Marine Le Pen, c’est l’idée que les Français d’origine étrangère sont là et peuvent rester. C’est un changement par rapport à l’époque où le programme du FN parlait de révision des naturalisations et d’inversion des flux migratoires.


Que dire du passage sémantique de «préférence nationale» à «priorité nationale» ?



La priorité nationale est l’épine dorsale structurante du programme du FN. La seule nouveauté en la matière, c’est qu’ils ont pris acte des annulations contentieuses des années 1995. Le FN prône l’exclusivité nationale pour le versement des prestations sociales et la priorité aux Français dans l’accès au logement et à l’emploi. La raison principale pour laquelle il n’y a jamais eu d’accord national entre le FN et la droite dite de gouvernement, c’est précisément que plusieurs propositions du FN vont au-delà du consensus républicain.


Est-ce un parti national-fasciste, comme le dit le député socialiste Thierry Mandon ?



Non, ce n’est pas un parti fasciste au sens du fascisme tel qu’il s’est donné à voir en Italie. L’objectif du fascisme, c’est de faire table rase du passé pour forger un homme nouveau. Or, je ne vois pas de projet d’un homme nouveau au FN, plutôt un projet de régénération de la communauté nationale – déjà présent après 14-18.


Et quand Besancenot parle de parti national-anticapitaliste, a-t-il raison ?



Le FN n’est pas anticapitaliste, il ne remet pas en cause le capitalisme. Il est pour l’économie de marché, pour le libre jeu de la concurrence, pour l’initiative privée, le tout sous la contrainte du protectionnisme national. Liberté totale à l’intérieur, protection aux frontières.


Parler de virage social du FN, est-ce faux ?



Il y a effectivement au FN – et c’est vrai pour l’extrême droite un peu partout en Europe – la volonté de réintroduire l’Etat dans sa dimension de protection sociale des plus faibles. C’est un mélange de darwinisme social, pour ceux qui ont les moyens de la compétition, et de protection sociale pour les Français restés sur le bas-côté. Mais, selon moi, l’un produit l’autre.


Marine Le Pen se positionne clairement du côté des petits et contre le système…



Au FN, la vision du peuple est encore relativement organiciste, mais plus à 100% puisqu’ils admettent désormais que des individus d’origine étrangère soient naturalisés français. Pour eux, le peuple est naturellement de bon sens et pur, tandis que les élites sont tout aussi naturellement dévoyées, corrompues.


Ce que vous décrivez, est-ce du populisme ?



Dans le sens de Pierre Birnbaum : le peuple contre les gros. Sur le plan politique et institutionnel, cela s’inscrit dans une tradition plébiscitaire et se traduit par la préférence pour la démocratie directe sur la démocratie représentative. Dans la logique du FN, le peuple exerce sa souveraineté par le recours massif à des référendums d’initiative populaire et par quelque chose qui est tout le temps en filigrane : le mandat impératif. Mais je ne vois pas comment tout cela peut fonctionner, sauf à voter tous les jours sur tous les sujets, ce que même les Suisses ne font pas.


Une forme de républicanisme trouve désormais une place dans le discours FN…



Le FN est une formation jacobine, qui s’oppose à toute forme d’identitarisme régional. Le FN, c’est la France, rien que la France, avec trois niveaux d’identité pour les individus : locale, nationale et civilisationnelle. Et l’identité civilisationnelle est exclusivement française. Pour eux, le champ politique est structuré entre «nous et les autres». Nous comme contre-société, nous comme famille, nous comme incarnation du peuple vrai. Et de l’autre côté, il y a les ennemis de la France : les mondialistes, qu’ils soient juifs ou pas, financiers ou technocrates. Ce sont ceux qui ne pensent plus à l’échelle du peuple et de la nation. Le mondialisme, c’est l’UE, l’Otan, la Banque mondiale, le FMI. Pour le FN, l’Europe des identités est un monstre, qui ose affirmer qu’il y a un échelon supérieur à la civilisation française.


Marine Le Pen construit une partie de son discours autour de notions comme la laïcité, le féminisme… Un simple habillage ?



Non, c’est structurant. Il y a en Europe une offensive générale des nationaux-populismes qui consiste à se réapproprier des valeurs de gauche. Mais, quand le FN se saisit de ces valeurs, c’est systématiquement pour les ramener à l’islam. Les droits des femmes, c’est dans la mesure où, selon le FN, l’islam constitue pour elles une forme active d’oppression. Quand les droits des homosexuels intéressent l’extrême droite, c’est uniquement parce qu’en Islam l’homosexualité est interdite. Et les droits des juifs, c’est parce qu’il y a une nouvelle forme d’antisémitisme qui n’est pas d’extrême droite.


 

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