ANALYSES

La défense française n’a plus du tout les moyens de ses ambitions

Presse
21 octobre 2013
Les dépenses de l’armée sont souvent pointées du doigt. On parle de gaspillage et de multiples économies que l’armée pourrait faire sans avoir à réduire drastiquement ses effectifs. Existe-t-il des secteurs qui ne soient pas ciblés par les réductions budgétaires mais pourraient facilement l’être ?



Certes, il est toujours possible de faire des économies en réduisant le train de vie d’un système, mais le problème, c’est l’équipement des forces. Sans réduire les effectifs de l’armée, on ne pourra pas faire d’économies et améliorer dans le même temps l’équipement des forces, leur protection et leurs conditions de travail. Dans toutes les armées occidentales, et depuis vingt ans, on a plutôt réduit les budgets d’équipements alors que les changements stratégiques supposaient le renouvellement de certains équipements. Aujourd’hui, l’armée est à bout de souffle, les militaires qui sont envoyés en mission sont souvent mal équipés, ce qui peut les mettre en danger !


Il y a probablement des gabegies et des gaspillages, mais ils n’éviteront pas les arbitrages qui doivent être faits entre le personnel et les équipements et ces arbitrages ne sont pas simples.


Si nous faisons des économies sur les équipements, il nous faudra peut-être vingt ou trente ans pour récupérer notre retard. Nous sommes donc dans une situation où nous devons nous demander ce que nous voulons faire avec notre argent. Que veut-on alors faire sur le terrain ? Si auparavant nous pouvions agir sur deux théâtres d’opérations extérieures, ce qui justifiait un nombre d’hommes importants, ce n’est probablement plus le cas aujourd’hui.


Le matériel de l’armée est justement jugé trop ancien, voire même dangereux pour les hommes sur le terrain. L’argent serait-il mal utilisé ?



Il n’est pas mal utilisé, il est devenu rare. Il s’agit ici de choix politiques qui répondent notamment à une demande de la population de privilégier d’autres secteurs comme l’éducation ou la santé.


Aujourd’hui, les armées sont mal équipées parce que les missions qui lui sont fixées sont probablement trop ambitieuses pour le budget de la défense.


La vraie question qui se pose alors aujourd’hui est : que veut-on vraiment faire de notre défense ? C’est une question politique.


Dans un livre sorti récemment, Défense française, le devoir d’inventaire d’Yvan Stefanovitch, l’auteur estime que pour adapter notre armée, il faudrait faire des « choix drastiques », notamment en s’attaquant à « la gabegie du ministère de la Défense ». Qu’en pensez-vous ?



Il y a probablement des gabegies et donc des économies à réaliser de ce côté-là, mais ça ne suffira pas et vous ne pouvez pas faire des économies sur les hommes que vous envoyez en opérations et qui y risquent leur vie… Ce qui transparaît de ces débats, c’est qu’il y a une véritable incompatibilité entre la volonté et le budget. La France n’a pas assez d’hommes ni de moyens pour les ambitions qu’affiche sa politique de défense. À partir de ce constat, elle a deux choix, soit revoir ses ambitions à la baisse, soit augmenter son budget.


La politique de défense française reste encore aujourd’hui très influencée par l’ambition française d’être une grande puissance.


En termes de défense, la France n’a donc plus les moyens de ses ambitions ?



Non, probablement pas. Elle doit et devra encore faire des choix. Par contre, si les pays européens s’unissaient, ils pourraient mener des missions à la hauteur. Le choix d’intervenir à l’étranger pour maintenir la paix ou stabiliser une région n’est pas qu’un choix de grande puissance ambitieuse. C’est aussi de la responsabilité de pays riches que d’aider et de soutenir les populations plus défavorisées.


Nous, Européens, avons des responsabilités sur la scène internationale. Les pays européens doivent le comprendre et construire une vraie politique européenne de sécurité et de défense. Or aujourd’hui, seuls le Royaume-Uni et la France semblent avoir conscience de cela… La plupart de nos partenaires européens sont réticents à s’investir dans un projet de défense commune et il y a un réel travail de pédagogie à faire auprès des populations : un pays en paix et stable, c’est un pays qui a plus de chances de se développer et donc potentiellement plus de chances d’offrir un avenir à ces populations. Investir dans la défense afin d’aider ces pays est aussi un investissement d’avenir, de sécurité et de stabilité. Une prise de conscience est nécessaire en Europe.


A long terme, la France pourrait-elle perdre de sa crédibilité sur la scène internationale ?



C’est déjà le cas, mais ça ne concerne pas seulement la France. Il y a une réelle évolution des relations internationales qui tend à délégitimer les « grandes puissances ». Pour la France, les interventions au Mali ou en Libye ont peut-être donné des gages à ses alliés, mais au niveau international, la France a déjà perdu de sa crédibilité. Le débat sur la réforme du Conseil de Sécurité des Nations unies en est une illustration : quelle est la légitimité des membres permanents et a fortiori de la France ? Si on veut être logique avec la réponse précédente, il faut poser la question du pourquoi l’Union européenne ou une coalition de pays européens prêts à s’engager et à prendre leurs responsabilités ne pourraient-elles pas la remplacer ?

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