ANALYSES

« Affaire Mennucci » : Franco-arabe, un oxymore?

Presse
30 octobre 2013

Retour sur l’"affaire Mennucci". Le candidat socialiste à la mairie de Marseille a qualifié son ancienne adversaire Sami Ghali d’"Arabe". La droite marseillaise s’en est offusquée, avec éclat, le maire Jean-Claude Gaudin voyant dans cette référence à l’origine de la sénatrice, le signe manifeste d’une insulte à caractère "raciste".


Une posture antiraciste de la droite marseillaise qui laisse perplexe les observateurs de la vie politique de la région PACA, véritable laboratoire du mariage idéologique entre l’UMP et le FN. Cette réaction outrée révèle en réalité la connotation toute négative qui continue d’être attachée à la part d’arabité de certains nos concitoyen(ne)s.


Au-delà des postures des uns et des autres, cette affaire a en effet le mérite de mettre en lumière la charge symbolique qui pèse sur un mot et une origine particulière dans une société française en proie aux interrogations métaphysiques et à une crise existentielle plaçant la figure du "Franco-arabe" dans le rôle d’"ennemi de l’intérieur" qui lui est assigné depuis des décennies par un noyau dur de l’élite -politique, administrative et médiatique- nationale, héritière et prisonnière d’une culture post-coloniale. Un discours d’exclusion qui nourrit l’idée d’une incompatibilité ontologique entre les faits d’être Arabe et d’appartenir à la communauté nationale. Un discours dont la prégnance est aujourd’hui attestée par la volonté exprimée par une majorité de Français de revenir sur le principe même du "droit du sol" comme élément constitutif de notre droit de la nationalité.


Qu’est-ce qu’être Arabe? L’hypothèse d’une "race arabe" étant exclue, l’arabité renvoie à une identité complexe, évolutive et difficile à cerner. Si la religion musulmane a clairement contribué à structurer l’identité arabe, l’assimilation des Arabes aux musulmans est abusive. Un Arabe n’est pas forcément musulman et les frontières du monde arabe n’épousent pas celles du monde musulman. Les Arabes ne sont pas assignés à un territoire ou espace donné: "être Arabe" ne suppose pas de vivre dans le "monde arabe".


Outre le sentiment d’être Arabe, la pratique (plurielle) de la langue arabe est un puissant ferment identitaire, le trait majeur de l’arabité. Il n’empêche, comme tout individu, les Arabes ne sont pas des êtres monolithiques. Même si elle repose essentiellement sur "une" langue commune, l’arabité est une construction identitaire complexe, dont les divers éléments s’imbriquent. Le sentiment d’appartenance est lui-même pluriel: l’identité d’un Arabe ne se réduit pas à sa part d’arabité. Celle-ci peut se conjuguer avec sa berberité, avec sa nationalité (ou mieux sa culture) française, etc…


En France, pays européen où la présence arabe est la plus forte, la problématique de l’immigration est dépassée notamment par celle -plus aiguë- de l’inclusion de citoyens "franco-arabes", dont l’identité complexe interroge à la fois leur arabité, mais aussi l’identité même de la France. Les débats récurrents sur "l’intégration" et l’identité nationale témoignent d’une tension liée notamment à cette présence arabe vécue foncièrement comme une anomalie.


Dans ce contexte, l’exposition et le livre éponyme "La France arabo-orientale"* sont salutaires. Ils rappellent à travers une iconographie exceptionnelle, la longue histoire de la présence de populations maghrébines et proche-orientales dans l’Hexagone. Une histoire marquée par une "Marche pour l’égalité", qui a eu le mérite de rendre enfin visible la présence d’enfants de l’immigration maghrébine jusqu’ici invisibles dans l’espace public et absents de la conscience collective. La célébration du 30e anniversaire (1983-2013) de cet événement national est entourée d’un silence gêné qui en dit long sur l’état de notre société et sur sa capacité à nier sa part … d’arabité. 

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