ANALYSES

Éducation, santé : quels défis attendent la future présidente chilienne ?

Presse
17 novembre 2013
La candidate socialiste Michelle Bachelet est quasiment assurée de remporter les élections présidentielles, peut-être même dès le premier tour. Comment expliquer cette victoire de la gauche, après les trois ans de présidence de Sebastian Piñera ?



Le premier élément de surprise c’est en effet que, pour la première fois, une candidate – Michelle Bachelet – a de grandes chances d’être élue dès le premier tour, alors qu’elle est en concurrence avec huit autres candidats.


Il y a des raisons conjoncturelles : la Constitution chilienne ne permet pas au président sortant de se représenter en mandat successif. Le président Sebastian Piñera, représentant de la droite chilienne, ne peut donc pas se présenter cette année et sa coalition n’a pas eu la possibilité de choisir suffisamment à l’avance un candidat qui soit assez consensuel.


La droite chilienne avait d’abord pensé présenter le ministre des Mines, celui qui avait acquis une certaine notoriété en sauvant les 33 mineurs chiliens [en août 2010]. Il avait été désigné au cours d’une élection primaire, mais suite à un problème judiciaire, il a été obligé de renoncer à sa candidature. La candidate qui a donc été désignée par la suite, Evelyn Matthei, et qui est la deuxième dans les sondages – loin derrière Michelle Bachelet – a commencé très tard sa campagne.


Le deuxième élément conjoncturel est plus profond : le Chili est victime de son économie. Ceci n’est pas propre au Chili, et se retrouve dans d’autres pays d’Amérique latine. Depuis plusieurs années, ces pays bénéficient d’une conjoncture favorable pour vendre leurs produits – comme le cuivre au Chili –, la croissance est au rendez-vous, le chômage s’est réduit et l’inflation également.


Mais la population demande désormais un saut qualitatif, une révision du modèle économique et une amélioration, notamment en matière de santé, d’éducation et d’accès à l’université. Il y a eu d’autres conflits concernant les salaires, dans les mines de cuivre par exemple, ainsi que des conflits sur la terre, notamment dans le sud du pays où devaient être construits des séries de barrages, et des problèmes avec la communauté des Mapuches [communauté aborigène du centre-sud du Chili].


Sebastian Piñera n’a pas su trouver les compromis permettant de surmonter ces crises. Il y a donc un mécontentement généralisé qui explique le décrochage des électeurs chiliens : il ne faut pas oublier que beaucoup d’électeurs n’iront pas voter dimanche (55% seulement se rendront aux urnes selon les sondages). Et ceux qui votent le font plutôt pour sanctionner l’équipe sortante, qui s’est révélée incapable de changer de cap et de régler, sinon par l’utilisation de la police, les différents conflits sociaux qui ont éclaté depuis 2011.


Quelles sont les grandes lignes du programme de Michelle Bachelet et quels sont les défis qui l’attendent si elle est élue ?



Elle a pris des engagements sur ces différents sujets que j’ai évoqués. Elle voulait cependant éviter d’aller à l’affrontement avec les autres candidats, probablement pour des stratégies électorales. Elle a donc gardé un certain flou sur ces questions, mais une fois élue, les électeurs lui demanderont des comptes et de s’attaquer à ces différents problèmes.


Le premier d’entre eux, c’est celui de la gratuité de l’accès à l’université. Les étudiants vont probablement se mobiliser et être très exigeants sur ce sujet. Un autre point attendu concernera la révision de la Constitution.




Tout cela dépendra aussi des élections législatives, qui se déroulent aussi dimanche. Il est bien évident que la candidate ne pourra définir le périmètre des réformes qu’elle pourra proposer sur ces différents sujets que si elle dispose d’une majorité suffisante au Parlement. Pour changer la Constitution, cette majorité doit atteindre les 2/3.


Il semblerait que Michelle Bachelet ait effectivement une majorité en nombre de sièges, une majorité simple, selon les sondages qui circulent actuellement, mais il n’est pas évident qu’elle ait la majorité des 2/3 qui lui permettrait de changer la Constitution chilienne, qui est une constitution héritée d’Augusto Pinochet. Si elle n’a pas la majorité suffisante, il est évident qu’elle ne pourra pas faire de grandes réformes.


La candidate d’opposition, Evelyn Matthei, fille d’un ancien proche de Pinochet, jouit-elle d’une certaine popularité auprès de la population chilienne?



Evelyn Matthei souffre d’un double handicap : le premier handicap, c’est qu’elle doit assumer le bilan du président sortant, qui n’est pas bon du point de vue de la gestion des conflits. Le deuxième handicap, c’est qu’elle a commencé sa campagne très tardivement pour les raisons que j’ai évoquées précédemment. Ce n’est pas elle qui devait mener au départ la bataille contre Michelle Bachelet.


Ensuite, le fait qu’elle soit fille de général, proche de Michelle Bachelet et de sa famille pendant son enfance mais séparées au moment du coup d’État d’Augusto Pinochet en 1973 (son père ayant décidé de suivre Pinochet), nourrit les gazettes chiliennes et donne un côté un peu « piquant » à l’élection. Mais les enjeux de l’élection ne sont pas là.


Les conséquences de la dictature d’Augusto Pinochet sont-elles encore visibles dans la société chilienne ?



Elles sont visibles dans la Constitution et dans la loi électorale, héritées du régime de Pinochet. Le système de santé, et le système scolaire et universitaire, systèmes très inégalitaires qui reposent sur le privé, ont également été mis en place à l’époque de la dictature.


C’est surtout cet héritage-là de la dictature de Pinochet qui est remis en cause, plus que les questions de mémoire, qui ont été relativement bien réglées et assumées par la population. Les nouvelles générations demandent surtout des nouvelles institutions, une autre façon de traiter des problèmes collectifs (la santé et l’éducation), en sortant des rails qui avaient été édifiés à l’époque de la dictature.


Comment se positionne aujourd’hui le Chili par rapport à ses voisins d’Amérique latine ?



Il faut rappeler que le Chili n’appartient à aucun marché commun, à aucune zone de libre-échange. Le modèle chilien est un peu le modèle asiatique, coréen. Le pays vit sur lui-même et en même temps, il est ouvert sur le monde ; c’est-à-dire qu’il ne privilégie par les rapports avec ses voisins, mais une ouverture maximale sur l’économie mondiale.


Le Chili est le pays au monde qui a signé le plus d’accords de libre-échange : avec les Etats-Unis, l’Union européenne, la Chine, la Russie, l’Australie, la Corée, la Nouvelle-Zélande, mais aussi avec certains pays latino-américains comme le Mexique. Il n’y a cependant pas de préférence sud-américaine.


Lorsque la question est posée aux Chiliens par leurs voisins du Marché commun du Sud, le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay – suspendu – et Venezuela) le Chili répond que ce serait absurde pour eux de rentrer dans ce marché commun, qui créerait des droits de douanes qui ont disparu au Chili.


Le Chili est cependant membre d’organisations politiques, il est par exemple membre de la Conférence régionale d’Amérique latine et des Caraïbes, qui a été mise en place officiellement l’année dernière. Cela peut permettre de régler des problèmes d’ordre diplomatique, mais cela ne touche pas aux droits de douane.


Le choix de l’insertion internationale n’a pas été remis en cause par la démocratie chilienne et ne le sera sans doute pas d’ailleurs, quel que soit le vainqueur de l’élection de dimanche.

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