ANALYSES

Russie : pourquoi Poutine a gracié Khodorkovski

Presse
20 décembre 2013

Au lendemain de l’annonce de sa grâce par le président russe, l’ancien magnat du pétrole est sorti de prison ce vendredi. Que signifie cette décision du patron de Kremlin ? Les explications de MYTF1News avec Philippe Migault, spécialiste de la Russie, directeur de recherche à l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques).


Pourquoi Vladimir Poutine a-t-il accordé sa grâce à Mikhaïl Khodorkovski ?

Tout simplement car Khodorkovski l’a demandée ! C’était le préalable.  Poutine voulait que Khodorkovski cède, qu’il aille à Canossa. Il tenait à cette capitulation de son ennemi. Plus largement, il montre ainsi que c’est lui et personne d’autre qui détient le pouvoir en Russie.


Il avait néanmoins la possibilité de la refuser. Pourquoi alors l’a-t-il acceptée ?

Khodorkovski n’a plus d’argent. Ou, plus exactement, il n’a plus sa fortune du passé et ne pourra plus jouer aucun rôle dans la vie politique russe. Il n’est donc plus une menace pour le pouvoir. Certes, il va probablement s’exiler en Occident (ndlr : il s’est immédiatement rendu en Allemagne, où sa mère est hospitalisée) où il se répandra en critiques dans les médias contre le régime, à la manière d’un Boris Berezovski à Londres. Mais Poutine se moque de cette nuisance extérieure, du moment que Khodorkovski ne représente plus un problème à l’intérieur.


D’un point de vue politique, cette grâce, qui permet à l’intérieur de montrer que Poutine détient bien le pouvoir et à la Russie d’améliorer son image à l’étranger deux mois avant les JO de Sotchi, est vraiment très intelligente.


Justement, sans les JO à venir, Khodorkovski aurait-il obtenu cette grâce ?

Oui. Certes, elle tombe en effet très bien pour le régime. Mais elle s’inscrit aussi et surtout dans un mouvement beaucoup plus vaste que l’organisation de ces JO en février prochain.


Lequel ?

Comme nous venons d’en parler, Poutine a compris qu’il fallait améliorer l’image de la Russie à l’étranger pour y développer son influence. Il entend donc désormais utiliser le "soft-power". Dans cette optique, l’audiovisuel extérieur russe est par exemple en train d’être refondu avec la fusion en une seule société, baptisée La Russie aujourd’hui, de la radio La voix de la Russie, de la chaîne Russia Today (ndlr : le CNN Russe), et de l’agence de presse Ria Novosti.


Outre l’amélioration son image, la Russie entend montrer qu’elle représente un modèle alternatif de civilisation par rapport à celui des autres pays européens. Un modèle qui se veut conservateur, aussi bien en matière religieuse, économique, sociale et sociétale. Ce discours est capable de séduire à l’étranger car il correspond aux réflexes identitaires qui se développent en Europe.


Cela peut néanmoins engendrer de vives critiques, notamment sur les lois qualifiées d’"homophobes" par les médias occidentaux.

Peut-être. Mais Poutine se moque royalement des critiques dans les médias étrangers -ce que ces derniers n’ont d’ailleurs pas compris. Il sait en effet très bien que cela ne correspond pas forcément au sentiment des opinions publiques. Et c’est ce qui l’intéresse avant tout.


La loi d’amnistie qui va permettre aux Pussy Riot d’être libérées s’inscrit-elle dans la même démarche que la grâce de Khodorkovski ? A-t-on notamment tourné certains articles de cette loi, qui touche plusieurs milliers de personnes, pour qu’elles en bénéficient également ?

Soyons clair : il fallait en finir avec cette histoire. On ne laisse pas quelqu’un plusieurs années en prison car il a chanté dans une église et qu’il n’est pas dangereux, surtout quand cela crée des tensions avec l’Occident. Là aussi, on sait déjà comment les choses vont désormais se dérouler : Nadejda Tolokonnikova, la leader, va probablement s’exiler pour se présenter comme la meneuse de la dissidence à l’étranger et se comparer à Andreï Sakharov, alors que sa vie n’a jamais été mise en danger.


Comme avec Khodorkovski, Poutine montre en fait là qu’il peut libérer qui il veut, quand il veut. Et ce d’autant plus qu’il ne restait plus aux deux femmes que trois mois à effectuer. Tout ceci est très réfléchi et va, comme avec Khodorkovski, bien au-delà des JO.


Cette année 2013 se termine donc sur une nouvelle décision forte de Poutine.

L’année 2013 a définitivement concrétisé le retour en force de la Russie, aussi bien sur la scène intérieure que sur la scène internationale. Rappelons que c’est la ligne russe qui a été suivie en Syrie, notamment au moment où les Occidentaux voulaient intervenir cet été. Sur le plan géopolitique, le pays est aujourd’hui l’un des trois grands avec les Etats-Unis et la Chine. Sur le plan économique et social, c’est de nouveau une puissance qui compte. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le magazine Forbes a désigné Poutine comme "homme le plus puissant". 

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