ANALYSES

«Pékin et Taïwan savent que leur petite guerre coûte cher»

Presse
13 février 2014

Depuis le 11 février, les discussions entre le ministre taïwanais des Affaires continentales et le vice-ministre chinois des Affaires étrangères se poursuivent dans un climat de réserve, chacun évitant de froisser l’autre.


Pour Jean-Vincent Brisset, spécialiste de la Chine et directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques, cette rencontre – la première de ce niveau depuis 1949 – répond à la fois à des questions de gouvernance interne qu’à la volonté des deux parties de pacifier leurs relations qui finissent par coûter cher…


Pourquoi la rencontre qui a lieu en ce moment entre les représentants du gouvernement de Taipei (Taïwan) et ceux de Pékin est-elle qualifiée « d’historique » par les observateurs internationaux ?



C’est la première fois que cette rencontre est présentée comme totalement officielle. Il y a eu depuis une vingtaine d’années plusieurs rencontres entre organismes théoriquement non gouvernementaux – mais qui le sont en fait totalement. Là, ce sont vraiment deux organismes gouvernementaux qui se rencontrent. On est donc monté d’un « cran » dans les rencontres entre les deux pays.


Quel est l’enjeu principal de cette rencontre ?



Les dirigeants chinois et taïwanais savent que la petite guerre qui dure entre les deux côtés leur coûte extrêmement cher à tous les niveaux : politique, militaire et économique. Et qu’une relation bien construite entre les deux parties leur permettrait de mettre fin à cette querelle. Ensuite, que ce soit Ma Ying-jeou à Taïwan ou Xi Jinping en Chine populaire, les dirigeants au pouvoir ont aussi des problèmes de gouvernance interne. Cette rencontre est donc peut-être une manière de remonter la pente dans un contexte de politique intérieure difficile.


Que permettrait l’ouverture de bureaux de représentations des deux organisations chinoise et taïwanaise ?



Dans un premier temps, c’est avant tout pour régler un problème de communication. Lorsque j’habitais à Taïwan, il y a une trentaine d’années, nous ne nous rendions pas d’un côté à l’autre du détroit : il fallait passer par Hong Kong. Il était par ailleurs interdit d’envoyer un courrier en Chine, d’écouter la radio ou de regarder la télévision chinoise, et inversement. À l’heure actuelle, un tiers des vols qui décollent de Taipei vont sur le continent. Les choses ont donc beaucoup changé, même si l’on n’a pas encore de relations officialisées, en particulier sur le plan juridique et sur celui de l’établissement des entreprises. Le fait d’avoir des bureaux mutuels de représentations permettrait de changer un peu cette relation encore tendue.


Comment les Taïwanais et les Chinois perçoivent-ils ce genre de rencontres ?



La vision donnée à l’extérieur est celle d’un rapport pacifié, devenu plus normalisé entre les deux parties. Et puis il y a la vision que l’on présente à l’intérieur : dans la Chine continentale, c’est celle d’une « conquête ». On présente les choses comme si Taïwan était en train de redevenir une province chinoise normale, qui accepte l’autorité de Pékin. De l’autre côté, le gouvernement de Ma Ying-jeou à Taïwan évoque la pacification des relations qui leur permettrait de mieux contrôler ce qu’il se passe d’un côté et de l’autre du détroit.


Les nationalistes taïwanais ne craignent-ils pas les conséquences de ce rapprochement ?



Le terme de « nationalistes » est un terme assez dépassé. Les Taïwanais sont en fait favorables au maintien d’un statu quo, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de dépendance politique de Taïwan vis-à-vis de la Chine populaire. Ce statu quo les intéresse s’il est assorti d’ouverture des relations. Il faut en effet savoir qu’il y a aujourd’hui plus d’un million de Taïwanais qui vivent en « célibataires géographiques » sur le continent où ils font des affaires ou s’enrichissent la semaine et reviennent le week-end à Taïwan où ils vivent de manière plus agréable. Les deux parties auraient intérêt à avoir un rapport pacifié sous la forme d’un « habillage » quelconque : celui d’une fédération ou encore d’une union, sans pour autant mélanger les deux systèmes.


Une rencontre officielle entre le président taïwanais et le président chinois est-elle envisageable ?



Elle n’est pas envisageable en Chine populaire ou à Taïwan. Mais elle pourrait avoir lieu à l’extérieur : un certain nombre d’organismes asiatiques organisent des forums et l’on pourrait imaginer que les deux présidents invités à ces rencontres, se retrouvent en marge du forum.  Cette rencontre pourrait alors être gérée et médiatisée et d’un commun accord entre les deux parties.


Quelle politique mène le président Ma Ying-jeou, président de Taïwan depuis 2008, vis-à-vis de la Chine continentale ?



Depuis son arrivée en 2008 à la tête du Kuomingtang [le parti au pouvoir à Taïwan] Ma Ying-jeou a beaucoup fait pour le rapprochement avec la Chine continentale. Mais beaucoup de Taïwanais considèrent ces rapprochements comme dangereux, dans la mesure où ils comportent des concessions que la majorité de la population taïwanaise n’accepte pas. Aujourd’hui, il semblerait que Ma Ying-jeou ait de gros problèmes de popularité dans son propre pays. Cette rencontre est une nouvelle tentative qu’il fait pour remonter un peu dans les sondages, sachant que les sondages faits à Taïwan n’ont pas la même valeur qu’en France : ce sont des sondages faits au niveau étatique et qui tiennent lieu de guide de politique.


 

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