ANALYSES

Lune de miel Obama-Hollande : le tournant néoconservateur de la France ?

Presse
17 février 2014

En proposant à François Hollande une visite d’État aux États-Unis, Barakc Obama a rendu un hommage appuyé au président français. Il y avait une reconnaissance du rôle joué par la France en Afrique avec les interventions au Mali et en République centrafricaine, mais également une façon de s’excuser pour la mauvaise manière de l’avoir laissé tomber en rase campagne dans l’affaire des armes chimiques syriennes.


Toujours est-il que les deux hommes ont affiché une solidarité sans faille et une entente parfaite. Cela inquiète certains secteurs de l’opinion française. Est-il normal qu’il n’y ait plus aucun différend entre Paris et Washington? Est-ce le signe d’un alignement français? N’est-il pas symptomatique que François Hollande ait pris la place de Dilma Roussef, qui avait annulé le voyage d’État prévu, à la suite des affaires des écoutes de la NSA? On se rappelle que la presse anglo-saxonne évoquait un tournant néoconservateur de la France, en évoquant à la fois les interventions militaires en Afrique et la fermeté sur les dossiers syrien et iranien. Qu’en est-il exactement?




Parler d’un tournant néoconservateur est exagéré. Les interventions au Mali et en Centrafrique ont été faites à la demande des autorités nationales, avec un soutien régional, le feu vert de l’ONU, y compris l’approbation de la Russie et de la Chine. Rien à voir avec la guerre d’Irak en 2003. Toute intervention militaire ne signifie pas une inflexion néoconservatrice. La ligne de clivage de la légalité internationale fait la différence.


S’il est vrai que la France a fait preuve de fermeté sur l’Iran, l’accord a néanmoins été conclu, et il est du coup plus solide. Seule la volonté affichée d’en découdre avec la Syrie en dehors de toute résolution du Conseil de sécurité aurait pu mettre la France en difficulté avec les principes qu’elle affiche et porter atteinte à son statut de membre permanent. Il faut de ce fait remercier Londres et Washington, qui, en abandonnant la France, l’ont empêchée de commettre une erreur.


François Hollande a-t-il abandonné la ligne gaullo-mitterrandiste? Contrairement à ce que pensent certains, la fin de la guerre froide ne signifie pas la fin de la pertinence d’une telle diplomatie. L’idée que la France ne peut se résumer à son statut de pays occidental, qu’elle a un rôle spécifique à jouer avec les pays du Sud ou émergents, qu’elle doit conserver une ligne indépendante et favoriser le multilatéralisme, la multipolarité, n’a pas disparu avec la fin d’un monde bipolaire.


Par contre, la nécessité de prendre ses marques et de se distinguer par rapport aux États-Unis est moins forte aujourd’hui qu’elle ne l’était à l’époque de De Gaulle, Mitterrand et même Chirac. Les États-Unis sont en retrait, Obama ne cherche pas dominer et contrôler l’Europe comme ses prédécesseurs. L’époque où Washington ne voulait pas voir une tête dépasser dans la classe atlantique est révolue. Il est moins nécessaire de marquer sa différence parce que Washington accepte plus celle-ci. Il était indispensable dans le passé de faire quelques coups d’éclat pour préserver nos marges de manœuvre, c’est moins le cas aujourd’hui.


Le procès en alignement fait à François Hollande est donc un faux procès, basé sur une confusion des périodes historiques différentes. Il est alimenté par le goût de François Hollande pour le consensus parfois poussé à l’extrême. Que les États-Unis soient moins étouffant par rapport à notre indépendance qu’auparavant est un fait. Mais il est parfois possible de faire quelques rappels à l’ordre. De Gaulle, Mitterrand n’auraient pas entravé le survol de notre espace aérien de l’avion d’Evo Morales parce qu’il y avait un risque qu’Edward Snowden y soit présent. La réaction publique à l’affaire des écoutes de la NSA aurait pu être plus vive. Qu’on ne se retire pas des organes militaires intégrés de l’Otan peut se comprendre, mais faut-il accepter les programmes de défense anti-missile qui relancent la course aux armements?




Ce qui peut surtout donner l’illusion de la perception d’un alignement français, c’est une autre caractéristique de François Hollande: son pragmatisme. Il ne veut pas être enfermé dans des schémas. Il préfère agir au coup par coup et jusqu’ici cela a plutôt bien réussi. Mais il est dommage qu’une vision globale de notre diplomatie, de notre statut, n’ait pas encore été donnée.


De ce fait, il manque encore un grand discours fondateur sur ce qu’est la France dans un monde en mutation.

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