ANALYSES

En Centrafrique, « La priorité est de construire un État »

Presse
27 février 2014

Serge Michailof est chercheur associé à l’Iris, l’Institut des relations internationales et stratégiques. Spécialiste de la reconstruction des pays en détresse, il observe de près le drame centrafricain. Il évoque l’urgence d’une intervention internationale.


La décision de prolonger l’intervention française est-elle la bonne solution ?



Là, à court terme, dans la mesure où on a décidé d’intervenir, on n’a pas d’autre choix ! Je dirais qu’à partir du moment où nous avons mis les pieds dans le bourbier centrafricain, il faut parvenir à s’en sortir. Pour cela, il faut restaurer un minimum de sécurité et il est évident qu’avec mille hommes, pour un pays plus grand que la France, c’était totalement illusoire. Donc il faut à la fois renforcer le contingent français et renforcer le contingent africain de la Misca. Et faire intervenir au plus vite une mission de maintien de la paix des Nations unies en bonne et due forme.


Des généraux français évoquent une amélioration de la situation sur place. N’est-ce pas un peu optimiste ?



En tout cas les informations que j’ai, certes disparates, ne me laissent pas aller à l’optimisme. Nous sommes dans un conflit compliqué, avec des dimensions racistes, des dimensions tribales, des dimensions religieuses. Sur un territoire plus grand que la France et la Belgique réunies, avec une population extrêmement dispersée. Ce n’est pas parce que l’on arrive à rétablir – difficilement – l’ordre à Bangui qu’on a réglé le problème de la Centrafrique. Je pense qu’il va falloir de toutes les façons une mission de la paix des Nations unies, mais une mission de la paix avec un mandat très clair. En mobilisant des troupes qui ne soient pas le fond du panier comme on le trouve souvent dans ce type d’opération. D’ailleurs je comprends sur ce point les doutes des militaires français. Ils savent bien que les pays qui envoient leurs militaires dans les missions de maintien de la paix des Nations unies le font essentiellement pour des raisons financières. Ils envoient les troupes les moins disciplinées et les plus folkloriques et puis touchent la rente entre ce que donnent les NU et ce qu’eux-mêmes donnent à leurs soldats. Il faut donc une vraie mission, avec un mandat très clair comme ça a été le cas pour le mandat de la force qui est intervenue au Kivu récemment : avec des troupes aguerries. Ce qui veut dire aussi des forces d’interposition qui soient entièrement neutres. C’est pour cette raison que ça va être compliqué. L’historique des forces de maintien de l’ordre n’est pas toujours satisfaisant. Cela peut coûter des milliards sans apporter une efficacité terrible.


De son côté, la France ne peut pas rester là-bas à faire le gendarme de façon excessive. D’autant qu’une force d’interposition se transforme assez vite en force d’occupation, pour peu que les forces politiques locales aient l’envie de monter les populations contre elle.


La France a-t-elle bien défini son cadre de mission ?



La France est intervenue pour restaurer l’ordre et éviter un bain de sang généralisé. De ce côté-là c’est assez net. Cela dit, au départ, comme la responsabilité du désastre est de l’initiative de la Seleka [coalition de combattants de confession musulmane, ndlr], qui avait une logique de pillage du pays, il faut quand même le rappeler, je crois qu’il y a eu une erreur d’appréciation. La France a cru qu’une intervention rapide, brutale, permettrait de chasser la Seleka et de faire se replier ses combattants vers le Nord. Or, pas du tout. Ils ont enlevé leurs uniformes et ils sont restés dans les quartiers à faire la bagarre. Certes cette erreur est compréhensible, une opération militaire étant toujours une forme de pari. Mais aujourd’hui nous nous retrouvons avec des groupes armés, enkystés dans les quartiers, avec des petits chefs de guerre, dont les anti-balaka [milices armées luttant contre les Seleka, ndlr] composés de plusieurs dizaines de groupes différents. Les plus inquiétants sont les « Combattants pour la liberté du peuple », relativement bien armés et bien équipés. Et puis les Selaka, qui se sont retirés pour bonne partie dans le Nord, mais qui sont loin d’avoir abandonné leurs espoirs de pillages et autres. Nous sommes devant un pays déchiré par des conflits ethno-politiques profonds. Ce n’est pas en apportant la « bonne parole » que nous allons régler les problèmes. Il va falloir maintenant calmer le jeu politique, et Dieu sait si ça va être difficile pour la Présidente Samba Panza. Il va falloir surtout construire un État. Et ceci est une tâche qui va demander des années de travail et d’efforts. Difficile au plan technique, et difficile au plan politique.


Pourquoi ce travail politique est-il forcément si complexe et comment la communauté internationale peut-elle aider ?



Ce travail est complexe tout simplement parce qu’un gouvernement comme celui de Mme Samba Panza doit répartir les différentes fonctions et les différents postes, que ce soit les fonctions ministérielles, mais aussi les principales entreprises publiques, les principaux centres de profit. Je pense aux douanes, je pense aux impôts… Pour calmer le jeu on est obligé de répartir entre les différents chefs de faction, les chefs de tribu, finalement, et qui n’ont pas pu se présenter aux élections organisées par le Conseil national de transition. Quand on confie des postes de responsabilité, des institutions clés, à des gens qui n’ont vécu que de pillages, et qui ne défendent que des positions ethnico-politiques, on n’arrive pas à construire des institutions modernes, basées sur le mérite, l’efficacité, etc. On est toujours dans une logique de pillage des institutions, prégnante en Centrafrique depuis que le pays est indépendant. Arriver à briser ce système ethnico-politique va demander beaucoup d’efforts et de doigté. Il faut y parvenir en toute sérénité et sécurité. Tout ceci sera rendu possible quand on aura réussi à reconstruire une armée et une gendarmerie intègres. L’aide internationale a une vision caritative et de court terme qui ne convient pas du tout à ces pays en détresse. En gros, les premières urgences pour un pays comme la République centrafricaine, en dehors de la sécurité immédiate qui, je le répète, doit être assurée par une mission des Nations unies, c’est de reconstruire les institutions régaliennes. C’est-à-dire l’armée, la gendarmerie, l’administration territoriale, la justice et le ministère des Finances pour le contrôle des dépenses et de la recette fiscale. C’est la priorité devant les problèmes de santé, d’éducation et autres. Le problème est que, poussés par leurs opinions publiques, les pays occidentaux préfèrent s’occuper des écoles et de santé, de nourriture ou autres apports caritatifs. En réalité c’est secondaire par rapport à la restauration de la sécurité et la construction d’un appareil régalien.

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