ANALYSES

L’Iran rejette les accusations d’ingérence du Yémen

Presse
3 avril 2014

Le président yéménite a accusé lundi 31 mars l’Iran de soutenir les indépendantistes sudistes et les rebelles nordistes dans son pays. Ces accusations d’ingérence sont «sans fondement» a répondu Téhéran mercredi 2 avril. «De tels propos sont tenus alors que se poursuivent les ingérences au Yémen et les actions de certains pays de la région, qui sont contraires aux intérêts et la sécurité de ce pays», a déclaré le ministère iranien des Affaires étrangères, dans une allusion à l’Arabie saoudite. Décryptage avec Thierry Coville, chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et professeur à Novancia, spécialiste de l’Iran.


Historiquement, quelles relations entretiennent l’Iran et le Yémen ?



Ces deux pays ont entretenu de bonnes relations jusqu’au début des années 2000. La situation s’est tendue en juin 2004, au début de la guerre du Saada (aussi appelée rébellion houthiste) lorsque les rebelles zaïdistes, qui appartiennent à une branche du chiisme, ont lancé une insurrection contre le gouvernement yéménite. Le Yémen, à majorité sunnite, a alors accusé l’Iran, composé de chiites à 90%, de soutenir cette rébellion. L’Arabie saoudite (sunnite), dont la grande peur est de voir se constituer un «arc chiite», a d’ailleurs relayé ces accusations.


Où en est-on aujourd’hui ?



L’Iran est à présent accusé de soutenir les indépendantistes sudistes et les rebelles nordistes au Yémen. On pourrait penser que Sanaa – dont la situation politique interne est très instable depuis le début du Printemps arabe – essaye d’instrumentaliser les troubles actuels pour pousser ses pions et former des alliances.


La protection du détroit de Bab-el-Mandeb au sud du Yémen, par lequel transite une grande partie du pétrole du Golfe, est notamment au cœur des enjeux régionaux. Les pays occidentaux craignent que l’Iran prenne le contrôle de cette zone par l’intermédiaire de son soutien supposé aux rebelles. L’Arabie saoudite a très peur que Téhéran développe son influence dans un pays limitrophe et que cela ait un impact sur ses propres minorités chiites. Je ne dis pas que ces craintes sont fondées. Simplement, cela explique la montée des tensions entre les deux Etats.


Par ailleurs, s’il n’est pas certain que l’Iran ait apporté son soutien à la rébellion de 2004, l’Arabie saoudite, en revanche, est intervenue et a bombardé les insurgés au Yémen.


JOL Press : Du côté iranien, comment perçoit-on la situation ?



Les Iraniens ont le sentiment que l’Arabie saoudite est entrée en guerre contre leurs intérêts et que Riyad soutient des groupes salafistes en Syrie et en Irak pour affaiblir Téhéran. Or, ces groupes sunnites pensent que les chiites sont les nouveaux ennemis de leur guerre sainte. En février, l’ambassade d’Iran a été la cible de djihadistes sunnites au Liban, qui ont commis un double attentat-suicide ayant fait six morts. En janvier, un diplomate iranien a été abattu par balles au Yémen.


Résultat, face à cette politique d’agression, les milieux conservateurs radicaux iraniens veulent taper du poing sur la table, alors qu’une des priorités du président Hassan Rohani était, après son élection, plutôt de calmer le jeu avec l’Arabie saoudite.


Le rôle de l’Arabie saoudite est donc essentiel pour comprendre les relations Iran/Yémen.

Effectivement. Pointer du doigt l’Iran, c’est oublier que le pouvoir yéménite est très affaibli. Le pays est en proie à différentes influences, dont l’Iran. Mais Téhéran n’est pas seul dans cette équation complexe. Comme je l’expliquais plus tôt, l’Arabie saoudite est intervenue dans les affaires intérieures yéménites et joue sur le sentiment anti-chiite chez les sunnites et les salafistes. Cette instrumentalisation est dangereuse car cela pourrait conduire à un conflit inter-religieux touchant l’ensemble de la région. 

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