ANALYSES

Inquiétudes pour l’Egypte

Presse
24 juin 2014

Quelques temps après le déclenchement de ce qui a été qualifié de « printemps arabe », les démocraties occidentales faisaient leur mea culpa. Elles admettaient que la lutte contre l’islamisme avait conduit à un soutien contre-productif à des dictatures. De Moubarak à Ben Ali, ces régimes répressifs nourrissaient en fait par leur corruption et leur répression le phénomène d’islamisme radical qu’ils disaient vouloir combattre.


Depuis, la Tunisie et l’Egypte ont poursuivi des chemins différents. En Tunisie, contrairement aux prévisions les plus sombres, les problèmes politiques ont été réglés de façon politique. Rien n’est définitif, mais Ie pays est sur le bon chemin.


L’Egypte fournit le modèle inverse. Les Frères musulmans ont commis de nombreuses erreurs. Ils ont cherché à étouffer les libertés et se sont signalés par une incompétence sur le plan économique. Mais le coup de force de l’armée est plus porteur de problèmes que de solutions.


On dépeint souvent dans les médias comme des « idiots utiles de l’islamisme » ceux qui estiment que ce n’est pas par la répression qu’on résout les problèmes politiques, y compris avec les islamistes. On pourrait également parler des « idiots utiles de l’anti-islamisme ». Le coup d’Etat du général Al Sissi n’avait en rien pour but de rétablir la démocratie mais est principalement dédié au maintien des privilèges de l’armée Certains ont comparé le coup d’Etat avec la « révolution des œillets » du Portugal. Au Portugal, des militaires ont mis fin à un régime dictatorial militaire pour assurer une transition politique vers un pouvoir civil et mettre fin aux guerres coloniales. En Egypte, un pouvoir militaire a mis fin par la répression à un régime démocratiquement élu, tué plus de 1500 personnes et dans la foulée énoncé presque autant de condamnations à mort.


Ce qui est troublant, c’est l’attitude des pays occidentaux par rapport au coup d’Etat égyptien. Comme si on revenait à la situation pré-2011. Au nom de la stabilité, au nom du maintien de la paix au Proche-Orient, les pays occidentaux ont accepté, sans enthousiasme, mais ont accepté quand même le coup d’Etat et la répression du général Al Sissi. Catherine Ashton, chef de la diplomatie européenne, l’a félicité en exprimant quelques réserves quant à l’état des libertés dans le pays. Elle a ainsi indiqué : « L’Union européenne félicite Abdel Fatah Al Sissi comme nouveau président de l’Egypte et espère qu’il relèvera les défis importants auxquels fait face le pays dont la situation économique, les profondes divisions au sein de la société, le contexte sécuritaire et le respect des droits de l’homme ». Selon elle, « le scrutin s’est tenu dans l’ordre et pacifiquement ». Dans l’ordre à n’en pas douter, pacifiquement oui, comme dans tout régime répressif qui interdit toute contestation publique.


Que peut-on attendre pour l’Egypte ? Le coup de force et l’élection d’Aï Sissi ne règlent rien. La répression féroce qu’il a mise en place ne va conduire qu’à la radicalisation d’une partie des Frères musulmans. Cette partie, fût-elle minime, fournira suffisamment de gens prêts à commettre des attentats. Le cycle bien connu répression-terrorisme va se remettre en place. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ce n’est pas ainsi que l’islamisme radical sera combattu, c’est ainsi qu’il sera nourri et se développera. On ne revient même pas à trois ans en arrière, on va beaucoup plus loin. L’ampleur de la répression est pire encore que sous Moubarak.


L’avenir de l’Egypte est sombre. Les citoyens voient leurs droits bafoués, une répression intense se mettre en place au nom de la promotion de la démocratie. Personne ne peut y croire. Si le citoyen égyptien est à plaindre, le consommateur l’est tout autant. Le tourisme ne va pas redémarrer, il s’effondre un peu plus, le chômage augmente, la pauvreté aussi. Combien de temps l’Arabie saoudite va-t-elle faire les fins de mois du régime ? Les problèmes sociaux qui avaient largement contribué au renversement de Moubarak ne seront pas résolus. Quant aux patriotes, ils vont s’apercevoir que le soutien extérieur au régime d’Al-Sissi est largement fondé sur sa docilité à l’égard des Occidentaux et d’Israël. Le blocus de Gaza n’est pas un blocus israélien, c’est un blocus israélo-égyptien. Alors que l’Egypte commençait à retrouver un rôle international qu’elle avait perdu, elle se retrouve à l’abri des critiques occidentales du seul fait de sa docilité diplomatique. II est peu sûr que cela soit suffisant pour susciter un soutien national. Un régime qui mécontente les citoyens, les consommateurs et les patriotes n’a pas un avenir radieux.

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