ANALYSES

Israël-Palestine – « Le risque n’est pas l’importation du conflit en France, mais qu’il dégénère en violences »

Presse
22 juillet 2014

Les violences qui ont émaillé les manifestions pro-palestiniennes à Paris et à Sarcelles rappellent les divisions qui existent en France sur cette question. Pour Pascal Boniface, directeur de l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques), connu pour ses positions propalestiniennes et auteur de La France malade du conflit israélo-palestinien, l’urgence est à la maîtrise des violences et au débat. Entretien.


Le Point.fr : Pour vous, la question de l’importation du conflit israélo-palestinien en France ne se pose pas. Pourquoi ?

Pascal Boniface : Parce que le conflit est installé depuis déjà très longtemps dans notre pays. On peut dire que le premier signal a été la mobilisation de la communauté juive en soutien aux autorités israéliennes dès 1967, nourrie par la peur de voir Israël être détruit. Mais la victoire d’Israël durant la guerre des Six-Jours a donné à la communauté juive de France la capacité d’afficher un lien plus étroit avec Israël. Puis au cours des années 1980, des attentats palestiniens et des assassinats israéliens de dirigeants palestiniens ont instillé la violence sur le territoire français, avec en toile de fond tout le combat pour tenter d’empêcher la reconnaissance de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine, NDLR) en tant qu’interlocuteur des pouvoirs français.


Le processus d’Oslo (premier jalon du processus de paix, qui a vu l’OLP devenir l’interlocuteur diplomatique de l’État hébreu, NDLR) a ensuite instauré une période d’accalmie et d’optimisme, les gens dialoguaient, laissant espérer une sortie de crise. Les espoirs se sont brisés avec la reprise de l’intifada et les attentats du 11 septembre 2001. Depuis, les choses se sont radicalisées. Aux différentes manifestations de soutien à Tsahal qui sont régulièrement organisées en France répond une mobilisation des pro-palestiniens, de plus en plus large et diversifiée, qu’on ne peut d’ailleurs réduire à la seule communauté arabe ou musulmane.


Assiste-t-on à une radicalisation des positions au fil des années ?

Les éléments radicaux se font de plus en plus entendre au fur et à mesure que le conflit dure et qu’aucune issue à la crise n’est trouvée. Mais l’immense majorité de ceux qui se disent solidaires des Palestiniens combattent l’antisémitisme et se prononcent en faveur d’une solution à deux États, reconnaissant ainsi l’État d’Israël. Concernant les heurts récents, je distinguerai les événements du 13 juillet à Paris où il ne s’agissait à aucun moment d’une tentative d’agression de la synagogue, mais d’une provocation de la Ligue de défense juive. En revanche, les violences qui ont eu lieu à Sarcelles sont plus inquiétantes et révèlent un réel relent antisémite. Ceux qui sont venus commettre ces actes antisémites ne sont pas venus pour soutenir le droit des Palestiniens, ce ne sont pas des militants, mais des délinquants.


Le gouvernement parle d’un risque de confrontation intercommunautaire. Ce risque existe-t-il ?

Oui, certainement. Il existe des affrontements entre communautés comme il existe des affrontements entre bandes rivales dans les banlieues. Mais on ne peut réduire le soutien à Israël aux seuls Juifs comme on ne peut réduire le soutien aux Palestiniens aux seuls Arabo-musulmans.


Interdire les manifestations a-t-il un sens ?

Oui, mais c’est contre-productif, dans la mesure où l’interdiction est ressentie comme doublement injuste. D’abord parce que c’est priver le citoyen d’un droit, d’une liberté. Et parallèlement, ceux qui souhaitent manifester peuvent avoir le sentiment que le gouvernement répond favorablement aux attentes des institutions juives. Ceux qui ont brisé l’interdiction de manifester ont estimé que la France n’avait pas une position équilibrée, qu’elle s’était rapprochée de la position israélienne au moment où les bombardements devenaient plus meurtriers à Gaza.


Pourquoi ce conflit suscite-t-il de telles passions dans notre pays ?

Parce qu’il y a le poids de l’histoire, d’une part celle de Vichy, et de l’autre l’histoire coloniale, qui sont des marqueurs pour chacune des deux communautés. C’est aussi dans notre pays qu’il y a les plus fortes démonstrations de soutien aux autorités israéliennes – je ne pense pas qu’il y ait une telle médiatisation autour du dîner du Crif dans d’autres pays -, entraînant proportionnellement la même mobilisation dans l’autre camp. En l’absence de solution et surtout en période de crise, cela vient accentuer la nature explosive de la situation. Si l’on veut modifier la réalité, il faut déjà la reconnaître. Le risque n’est pas l’importation du conflit, mais qu’il dégénère en violences. Il faut pour cela en débattre librement, sans interdit.


 

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