ANALYSES

« Le conflit israélo-palestinien est importé en France depuis longtemps »

Presse
30 juillet 2014

Pourquoi le conflit entre Israël et les Palestiniens suscite autant de passions en France ? Pascal Boniface, auteur de "La France malade du conflit israélo-palestinien", plaide pour un débat ouvert et respectueux des règles républicaines.


À Paris et en banlieue parisienne, des violences ont éclaté en marge de manifestations de soutien à Gaza, notamment le week-end dernier, lors de rassemblements interdits par la préfecture. À Sarcelles, ces violences ont pris une tournure antisémite. Doit-on y voir une "importation" du conflit israélo-palestinien sur le sol français, comme l’a dénoncé le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls ? Pascal Boniface, directeur de l’Iris et auteur de "La France malade du conflit israélo-palestinien"* répond aux questions de FRANCE 24.


On parle depuis quelques jours d’une importation du conflit israélo-palestinien en France. Cette expression vous semble-t-elle juste ?

Ce n’est pas le terme "importation" qui est problématique selon moi, mais c’est de dire qu’il faut "empêcher" cette importation. Le conflit israélo-palestinien est "importé" en France depuis longtemps. Dès 1967, lors de la guerre des Six jours, la communauté juive s’était mobilisée autour d’Israël, car elle craignait alors pour la survie de l’État hébreu. Puis en 1981, il y a eu l’appel de la part d’institutions juives à un "vote sanction" contre Valéry Giscard d’Estaing, considéré comme trop proche de la cause arabe, à l’inverse de François Mitterrand. Ensuite, alors que le dialogue reprend à la fin des années 1980 entre Israël et les Palestiniens, que Yasser Arafat effectue sa première visite officielle en France en 1989, les appels à la solidarité avec les Palestiniens se multiplient. Mais après le déclenchement de la seconde Intifadah, en 2000-2001, et la répression menée par le Premier ministre Ariel Sharon, l’amalgame entre critiques du gouvernement israélien et antisémitisme devient courant. Lors des dîners du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), on exhorte les hommes politiques à soutenir Israël. Des manifestations de solidarité avec l’État hébreu ou même avec l’armée israélienne sont organisées par les instances communautaires. C’est au moment où l’image de l’État hébreu se dégrade en France que les actions de lobbying pro-israélien se développent.


Dans le même temps, le soutien à la cause palestinienne s’est largement amplifié. Et il ne concerne pas que les Arabes et les musulmans, contrairement à ce que veulent faire croire ceux qui décrivent le conflit israélo-palestinien comme une guerre de religion. Une solidarité militante avec la Palestine s’exprime aujourd’hui, via par exemple des expositions d’art ou de photos, que le Crif tente régulièrement de faire interdire… Donc ce conflit est importé en France depuis longtemps. L’enjeu aujourd’hui c’est de le cantonner à un débat public libre, ouvert, dans le respect des règles républicaines, c’est-à-dire sans diffamation et sans violences.


Comment expliquer les hésitations du gouvernement sur le sujet ? Y a-t-il un changement de la position de la France sur le conflit israélo-palestinien ?

La peur d’être accusé d’antisémitisme tétanise les politiques français, donc toutes les précautions sont prises pour y échapper. Certains choisissent pour cela d’afficher leur pleine solidarité avec Israël, d’autres de ne pas s’exprimer sur le sujet. Mais la classe politique n’est pas représentative de la population française, qui se sent plus solidaire des Palestiniens que d’Israël. Le premier communiqué de l’Élysée, par lequel François Hollande exprimait la "solidarité de la France" avec Israël face aux tirs de roquette en provenance de Gaza, sans mentionner les bombardements israéliens, a été ressenti comme la marque d’un positionnement déséquilibré. C’est pour protester contre ce qui était perçu comme un "virage diplomatique" de la France qu’une partie des manifestants sont descendus dans la rue.


Sur le fond, il est difficile de dire s’il y a une inflexion de la position française sur le conflit israélo-palestinien. Le gouvernement dit toujours être en faveur de la solution des deux États, mais avec moins de force que par le passé. Jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu de condamnation claire des bombardements israéliens. Il ne faut pas se faire d’illusion sur le pouvoir d’influence de la diplomatie français seule. Mais la France pourrait s’exprimer davantage et inciter les diplomaties européennes à être plus actives sur le sujet.


Y a-t-il un lien entre la mobilisation autour de la cause palestinienne et le ressentiment des jeunes Français d’origine maghrébine face aux discriminations dont ils sont l’objet ?

Cela peut jouer pour une petite partie des manifestants arabes ou musulmans qui soutiennent les Palestiniens : certains projettent leur propre situation de discrimination sur ce qui se passe là-bas. Le problème de l’histoire coloniale qui n’est pas digérée est aussi toujours présent : on l’a vu avec l’affaire des députés qui voulaient interdire le drapeau algérien dans les rues pendant la Coupe du monde. Mais la plupart des manifestants pour la Palestine ne sont ni arabes ni musulmans, donc cette connexion entre une situation de discrimination locale et l’adhésion à la cause palestinienne n’est pas représentative de la majorité des manifestants.


Il y a aussi des casseurs qui viennent uniquement pour les affrontements avec la police, comme cela arrive aussi lors de manifestations étudiantes : c’était le cas lors de la manifestation de samedi à Barbès [un quartier de Paris], où on a constaté une violence anti-policière "classique". À Sarcelles en revanche, il y a eu de véritables violences antisémites, avec les attaques contre des magasins casher, la synagogue… Ce qui est bien évidemment très grave et doit être condamné.


Peut-on pour autant parler d’un "nouvel antisémitisme qui se répand dans les quartiers populaires auprès d’une jeunesse souvent sans repère", comme l’a fait Manuel Valls ?

Il y a chez certains jeunes des quartiers populaires un antisémitisme qui se développe sur le thème "les juifs contrôlent les gouvernements, les médias". Certains nourrissent un sentiment de rejet de la société en général et des juifs en particulier. C’est une réalité. Mais ce ne sont pas ceux-là qui s’engagent en faveur de la Palestine. Globalement, les préjugés antisémites ont largement reculé dans la société française. La vigilance contre l’antisémitisme ne doit pas déboucher sur le sentiment que les politiques et les médias sont plus sensibles à cette cause qu’aux autres formes de racisme et de discrimination. La grande majorité des organisations pro-palestiniennes combattent l’antisémitisme et reconnaissent le droit d’Israël à vivre en paix. Mais les institutions juives ne veulent pas dialoguer avec ces organisations, parce qu’elles critiquent le gouvernement israélien. Elles pourraient pourtant être des alliés dans la lutte contre l’antisémitisme.


* "La France malade du conflit israélo-palestinien", Éditions Salvator, février 2014.

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