ANALYSES

Conflit Israël-Hamas : l’Amérique latine a aussi son mot à dire

Presse
5 août 2014

Brésil, Chili, Equateur, Pérou… Depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas, nombreux sont les pays d’Amérique du Sud qui ont pris la décision de rappeler leur ambassadeur en Israël, afin de condamner la disproportion de l’intervention militaire israélienne dans la bande de Gaza. Jusque-là timides sur la scène diplomatique mondiale, les pays émergents, le Brésil en tête, imposent désormais leur voix.


Plusieurs pays d’Amérique du Sud ont rappelé leur ambassadeur en Israël. Quelles sont les raisons invoquées ?

Ces pays condamnent la disproportion de la réaction israélienne sur Gaza et les dommages subis par les populations civiles. Cela fait suite au vote du Conseil des droits de l’homme des Nations unies quelques jours auparavant. Les huit pays sud-américains présents (Argentine, Brésil, Chili, Costa-Rica, Cuba, Mexique, Pérou et Venezuela) avaient voté une résolution demandant le cessez-le-feu et l’ouverture d’un dialogue

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C’est désormais un pas supplémentaire qui a été effectué par un certain nombre de pays sud-américains qui, constatant que la résolution votée par l’ONU était restée sans effet, ont décidé de rappeler leur ambassadeur. D’autres pays sont même allés encore plus loin comme la Bolivie, qui a inclus Israël dans sa liste des pays terroristes.


Historiquement, quelles relations ces pays entretenaient-ils avec Israël avant l’escalade des tensions ?

Depuis une dizaine d’années, les contacts entre les pays d’Amérique du Sud et les pays de la Ligue arabe sont de plus en plus nombreux. Des sommets formalisés ont même lieu tous les deux ans depuis 2005, à l’initiative du Brésil. Le problème du Proche-Orient a très rapidement occupé une grande partie des échanges entre l’Amérique du Sud et la Ligue arabe. Le président du Venezuela a fait une tournée dans la région de même que l’ancien président du Brésil, Lula, en 2010.


À la suite de ces visites, la quasi-totalité des pays d’Amérique du Sud a reconnu la Palestine comme un État (sauf la Colombie), et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a fait une tournée en Amérique du Sud. Leur condamnation actuelle est donc en cohérence avec l’évolution de leurs relations avec les pays de la Ligue arabe. Il faut y ajouter le renforcement des liens avec l’Iran, traditionnel ennemi d’Israël.


Le deuxième constat à dresser, c’est que dans le passé, les pays d’Amérique du Sud ne se mêlaient pas des affaires du monde : ils n’en avaient pas les moyens ou s’exposaient, lorsqu’ils le tentaient, à des mesures de rétorsion extrêmement fortes, comme on l’a vu à l’égard de Cuba qui a été totalement isolé des États-Unis à partir du moment où il a voulu aider des gouvernements, notamment africains, à acquérir leur indépendance.


Désormais, les pays d’Amérique latine sont dans une phase de croissance économique importante. Grâce à cette relative aisance financière, ces pays ont commencé à donner de la voix dans les enceintes économiques d’abord, puis sur les questions politiques et diplomatiques comme celles de la crise au Proche-Orient. Cette arrivée des pays latino-américains sur le devant de la scène diplomatique est un des phénomènes liés à leur émergence économique.


Quels sont les pays qui sont, au contraire, restés silencieux sur cette crise ?

Les pays qui sont restés silencieux sont les petits pays d’Amérique centrale – à l’exception du  Nicaragua – comme la République dominicaine, Haïti et le Paraguay. Ce sont des pays qui s’expriment également assez peu dans le conflit inter-chinois, entre Taïwan et Pékin. Ils sont en effet, d’une certaine manière, redevables envers Taïwan et Israël, avec qui ils coopèrent. Ils sont également à l’écart de l’émergence et restent silencieux parce qu’ils n’ont pas les moyens de faire autrement.


Il y a le cas particulier du Mexique et de la Colombie, véritables pays émergents, qui ont eu une position un peu plus équilibrée. L’un et l’autre ont à la fois condamné l’intervention militaire israélienne, jugée disproportionnée dans ses moyens, mais ont également condamné l’envoi de roquettes sur le territoire israélien par le Hamas. Cela dit, le Mexique, qui est l’un des huit pays d’Amérique latine membres du Conseil des nations unies pour les droits de l’homme, a voté comme les autres pays latino-américains la condamnation de l’opération militaire israélienne.


Les populations d’Amérique latine se sont-elles mobilisées en faveur des Palestiniens ou des Israéliens ?

Dans les pays où les communautés juives sont importantes, comme en Argentine ou en Uruguay, ces communautés ont manifesté leur soutien devant l’ambassade d’Israël. Au Chili, où la communauté palestinienne est importante, cela a été le mouvement inverse. En règle générale, les opinions latino-américaines sont plutôt favorables aux revendications du peuple palestinien, qu’ils ont tendance à assimiler à leur propre situation face aux États-Unis.


Quelles pourraient être les conséquences de cette condamnation d’Israël par les pays d’Amérique latine ?

Pour l’instant, ces conséquences ne vont pas très loin, en dehors des votes dans les instances des Nations unies, et probablement à l’Assemblée générale de l’ONU en fin d’année. Car les principaux organes de décision, au niveau international, sont tenus par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, et il n’y a aucun latino-américain parmi eux.


La réaction d’Israël a été assez vive. Israël a fait part de sa déception face aux pays ayant rappelé leur ambassadeur. Le porte-parole israélien du ministère des Affaires étrangères, Yigal Palmor, a notamment déclaré que le Brésil avait démontré une fois de plus que, tout en étant un grand pays du point de vue de l’économie et de la culture, était un « nain diplomatique ».


Cette réaction a peut-être été d’autant plus virulente que le Brésil n’est justement plus un « nain diplomatique ». C’est en effet le Brésil qui, après la visite du président Lula dans la région, avait entraîné l’ensemble des pays d’Amérique du Sud à reconnaître l’existence d’un État palestinien. Il y a donc malgré tout la prise en compte d’une montée en puissance diplomatique des pays latino-américains sous l’influence du plus puissant d’entre eux, le Brésil, et cela commence à gêner Israël. S’il n’y avait pas eu cette intervention à Gaza, il est d’ailleurs probable que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou aurait effectué une tournée en Amérique du Sud.


Manifestement, il y a d’un point de vue israélien la prise de conscience que le monde est en train de changer et qu’il faudra qu’Israël effectue rapidement une tournée en vue d’expliquer sa politique en Amérique latine, où ses positions se sont très largement effritées ces dix dernières années.

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