ANALYSES

Le pivot américain vers l’Asie, fin de partie ?

Presse
4 septembre 2014

Le 5 janvier 2012, Barack Obama rendait public aux côtés de son secrétaire à la défense Leon Panetta et le responsable du Joint Chiefs of Staff (chef des armées), le général Martin Dempsey, un document intitulé Sustaining Global Leadership: Priorities for the 21st Century Defense, qui indique notamment que les Etats-Unis « vont nécessairement se rééquilibrer vers la région Asie-Pacifique ». La stratégie du pivot vers l’Asie était, dans son volet stratégique, confirmée. Deux ans et demi plus tard, le 22 août dernier, le même général Dempsey, cette fois aux côtés du successeur de Panetta (depuis février 2013), Chuck Hagel, annonçait le visage grave la reprise des opérations militaires en Irak, afin de lutter contre l’expansion de l’Etat islamique, qui va selon lui « au-delà de tout autre groupe terroriste », et « va finir par devoir être vaincu », faisant ainsi écho aux propos de Barack Obama qui faisait mention quelques jours plus tôt d’un « cancer » et à la reprise des opérations militaires américaines. Ce redéploiement au Moyen-Orient, en marge des crises en Irak et en Syrie, mais aussi avec un œil plus qu’attentif et inquiet sur Gaza et la Libye, peut-il marquer la fin de ce rééquilibrage asiatique dont Barack Obama avait fait l’un des principaux chantiers de sa politique étrangère ? Plusieurs signes semblent l’annoncer.


Il y a d’abord la réalité d’un rééquilibrage vers l’Asie ambitieux mais confronté aux baisses du budget de la défense américain. Un article d’Hillary Clinton intitulé « America’s Pacific Century » publié en novembre 2011 dans la revue Foreign Policy faisait mention des très coûteux conflits afghan et irakien, notant que « la fin de ces deux guerres est une précondition au rééquilibrage vers l’Asie », et sous-entendait par la même occasion que si la situation en Irak et en Afghanistan venait à se dégrader de manière sérieuse, les Etats-Unis pourraient être contraints de se désengager du Pacifique. Les évènements actuels semblent confirmer ce qui dès lors apparait comme une prédiction, et auront inévitablement un impact sur les capacités mobilisables en Asie-Pacifique. Pour l’anecdote, il est intéressant de remarquer que des alliés de Washington comme le Japon ont soulevé ce problème à plusieurs reprises, conscients sans doute que le pivot ne répondait finalement qu’à un moment dans la politique étrangère et de défense des Etats-Unis. Si l’engagement s’avère long et coûteux en Irak et ailleurs, ce moment pourrait être terminé, et le rééquilibrage une nouvelle fois ajourné.


Barack Obama ne dispose par ailleurs que d’une marge de manœuvre politique limitée, que les élections mi-mandat en novembre pourraient même réduire encore plus si les Républicains renforçaient leur présence au Sénat. La crise du vote du budget en octobre 2013 a eu une incidence directe sur le pivot vers l’Asie, le président américain devant annuler en dernière minute sa présence au sommet de l’APEC à Bali. Il y fut remplacé par son Secrétaire d’Etat John Kerry, effacé aux côtés des dirigeants asiatiques, en particulier un Xi Jinping rayonnant qui profitait de ce sommet pour renforcer les échanges bilatéraux avec ses partenaires en Asie du Sud-est. En atlantiste convaincu et fort d’une solide expérience au Sénat, Kerry est sans doute l’homme providentiel pour régler les problèmes au Moyen-Orient, mais son intérêt pour l’Asie semble nettement moins marqué que celle qu’il remplaça, Hillary Clinton, qui occupait sur le pivot une place essentielle. Le prochain sommet de l’APEC, en novembre, devrait être marqué par le retour d’Obama, qui avait également boycotté celui de 2012, à Vladivostok. Mais il se déroulera à Pékin, et c’est vers son hôte chinois que les regards seront une fois encore tournés.


Le bilan du pivot est par ailleurs nuancé. Depuis les tournées éclair de Madame Clinton en Asie et les déclarations ambitieuses d’Obama, aux annonces spectaculaires ont succédé des résultats modestes. Washington a réaffirmé son partenariat stratégique avec ses principaux alliés en Asie, le Japon, la Corée du Sud et l’Australie, mais sans modification majeure des conditions de ce partenariat, si ce n’est avec Tokyo qui a choisi de revoir les contours du très contraignant article 9 de sa Constitution pacifique (et d’influence américaine), pas nécessairement dans l’intérêt de son allié américain d’ailleurs. Des contacts a priori solides ont été établis avec Singapour, le Vietnam et les Philippines, mais ils traduisent plus un opportunisme de ces pays rivaux de la Chine qu’un engagement durable. Dans les faits, on constate plus nettement une progression des capacités chinoises, et des ambitions de Pékin revues à la hausse. En clair, si le pivot n’avait pour objectif que d’accompagner la montée en puissance de la Chine, c’est un grand succès. S’il avait vocation à l’endiguer ou la contenir, le bilan est plus que mitigé.


Si on étend le pivot à ses autres volets, diplomatie publique et échanges économiques et culturels, on découvre que les résultats ne sont pas meilleurs. Les discussions sur les accords de libre-échange piétinent, la diplomatie se heurte aux manœuvres de Pékin, et l’influence semble se réduire face à la réalité d’une intégration régionale certes très incertaine, mais en marche. De son côté, le Partenariat Trans-Pacifique qui exclut la Chine et dont Washington espérait un développement rapide rencontre des problèmes qui peuvent être comparés à l’accord de libre-échange EU-UE. Compte-tenu de l’importance que le tandem Obama-Clinton accordait aux échanges économiques, diplomatiques et culturels pour justifier le pivot, ne le limitant ainsi pas à une manœuvre stratégique, force est de constater que le rééquilibrage américain dans la région s’est souvent limité à des déclarations et à des projets sans lendemain.


En 2008, le candidat Barack Obama critiquait un engagement coûteux, sans fin et contre-productif en Afghanistan et en Irak, et préconisait une présence accrue en Asie-Pacifique. L’article de Clinton dans Foreign Policy reprend cette idée et commence par la certitude que « le futur de la politique se jouera en Asie, pas en Afghanistan ou en Irak, et les Etats-Unis seront au cœur de l’action ». Le retour du chaos au Moyen-Orient met aujourd’hui le président américain dans l’impasse, et potentiellement « hors de l’action ». Cette nouvelle donne fait le jeu de Pékin, et pose fondamentalement la question de la capacité pour une grande puissance comme les Etats-Unis à jouer les premiers rôles dans deux régions que tout sépare. Obama l’avait sans doute compris, et il a fait le choix de l’Asie. Les évènements n’ont pas joué en sa faveur, sans doute l’échec du pivot s’il se confirme restera la plus grande désillusion de sa politique étrangère.


Barthélémy Courmont est basé en Asie et rédacteur en chef de Monde chinois, nouvelle Asie, il a récemment publié Une guerre pacifique. La confrontation Pékin-Washington, aux éditions ESKA.


 

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