ANALYSES

« Une stratégie qui semble sujette à caution »

Presse
12 septembre 2014
A chaud, que vous inspire l’intervention du Président Obama, qui dit vouloir agir militairement en Irak avec une coalition internationale ?



Le premier point à noter est que [le Président Obama] continue les actions militaires qu’il menait déjà sur le terrain. Désormais il veut les continuer dans un cadre politiquement élargi, avec cette fois le soutien d’un certain nombre de pays. C’est important pour lui, parce que c’est une affaire qui va durer très, très longtemps. Et dont on ne peut pas être sûr qu’elle donnera des résultats probants. II fallait que le Président US soit entouré par d’autres pays pour soit participer militairement, soit pour s’occuper des différents aspects collatéraux de ces opérations ce sont les réfugiés, c’est l’aide humanitaire. La deuxième chose qui gêne dans la déclaration du dirigeant US c’est la forme de continuité de la vision américaine du terrorisme. On peut mettre cette déclaration en comparaison avec celle du 28 mai, où le Président Obama avait annoncé sa politique. II fait un rappel : il dit « nous, Etats-Unis, littéralement, on ne s’engage que si nos intérêts majeurs sont menacés. Si nos intérêts majeurs ne sont pas menacés, on veut que ce soit d’autres pays qui s’engagent » et donc on les aidera, par exemple, avec des frappes aériennes Nous sommes donc bien dans ce second cas.


Vous voulez dire que l’administration US peut retourner à ses errances du passé ?



Après les attentats du 11 septembre, il y a 13 ans, il y a eu la global war on terror, la guerre totale contre le terrorisme.  A l’époque, d’Al Qaeda, les terroristes représentaient une poignée de mains, aujourd’hui ce sont des milliers avec le support de millions qui prolifèrent depuis les confins du Sahara occidental en passant par la Libye. Là, nous nous trouvons devant des groupes islamistes qui ont la mainmise sur la capitale libyenne et sur les aéroports. Et puis en Irak, en Syrie, toujours dans le Yémen, toujours en Somalie, etc. L’inflation est énorme. Et le job est énorme. On est certes devant une nouvelle stratégie, mais il faudra certainement faire autre chose en accompagnement.


Cette fois, Barack Obama dit vouloir agir aussi avec les pays arabes. N’est-ce pas une nouveauté importante ?



Ce n’est pas si évident que ça. J’avais d’ailleurs noté qu’il y a cinq mois, lorsque tout d’un coup on s’est aperçu que l’État islamique(EI) était très fort et qu’il parvenait à conquérir la Syrie, que l’Arabie Saoudite ne voulait pas d’intervention militaire. Maintenant elle est à côté parce qu’elle commence à avoir peur. Mais en fait, la situation de tous les pays arabes est assez complexe Ils craignent les réactions de leur opinion publique. Cette dernière, finalement, voit peut-être ces combattants islamistes avec sympathie. Par ailleurs, les pays arabes ont chacun des intérêts différents. II ne faudrait pas considérer le monde arabe comme un tout, fonctionnant de la même façon. Ils se retrouvent sur une religion que tous les pays se partagent avec une vision plus ou moins radicale, certes. Mais il n’est pas certain que tous veuillent se mobiliser dans cette guerre. Et puis il y a les petits pays du centre. Les forces islamistes, en partant de la Syrie, descendent presque jusqu’à Mossoul pour attaquer les Kurdes à l’Est. A l’Est, vous avez le royaume de Jordanie. II peut se sentir menacé. S’il prend fait et cause contre l’EI, personne ne lui garantit qu’au moment où les colonnes jihadistes vont arriver vers lui, il aura suffisamment de soutien pour y faire face. Donc pour ce royaume, le profil bas semble être une bonne solution. Ce n’est qu’un exemple, mais il faut comprendre que chacun à sa propre dynamique qu’il faudrait étudier.


L’opération consistant à bombarder les jihadistes, en Irak et en Syrie, et armer les rebelles risque-t-elle de tourner au fiasco ?



Nous sommes sur le schéma, 13 ans après, des frappes contre l’Afghanistan en 2001. A cette époque les Talibans étant identifiés comme étant les amis de Ben Laden et les Américains ont frappé là-bas. Cette fois, ce serait sans mettre de soldats au sol mais en favorisant les rebelles, en réalisant des bombardements aériens et en mettant à côté des rebelles une poignée de forces spéciales avec une triple mission. Assurer la liaison avec l’état-major américain, donner des conseils de planification, d’organisation des attaques aux rebelles, et enfin aider à ce qu’on appelle le targetting, le ciblage, pour utiliser au mieux les moyens aériens. II faudrait survoler la Syrie. Obama a dit qu’il fallait frapper là (en Syrie), mais je ne pense pas que cela soit possible en l’état actuel des choses. Le doute persiste de ce que l’on fera de la Syrie proprement dite. Ce n’est pas une affaire très évidente. Soit il faut avoir une certaine coordination avec Bachar El Assad, ce qu’a exclu Obama, soit il faudra faire contre lui. Il détient des moyens anti-aériens et il a la capacité d’interdire son espace aérien bref, on peut être pris à partie par les défenses anti-aériennes syriennes ! Donc pour moi l’étape syrienne viendra plus tard et nécessitera une autre réflexion stratégique, plus approfondie que celle qui est menée actuellement et dont je dirais que la grande faiblesse est justement d’avoir rejeté toute idée de différenciation des acteurs au sol. Quant à armer les rebelles, il faut d’abord les trouver. Une fois qu’on les a trouvés, il faut être sûr qu’ils vont garder leurs armements. Cette rébellion syrienne est multi-forme. Ce sont les plus déterminés qui s’en sont sortis. De ces derniers, vous en avez beaucoup qui au nom de la démocratie voulaient surtout se tailler des petits empires locaux, et d’autres qui avaient de réels buts et ce sont les islamistes. On ne sait pas où iront les armes. C’est une stratégie qui me semble sujette à caution.

Sur la même thématique