Intervention française en Irak, chronique d’une catastrophe annoncée (ou l’impossibilité de gagner une guerre sans objectifs ni moyens)
Ce mercredi, le gouvernement va faire une déclaration au Parlement, convoqué par décret en session extraordinaire, sur l’action militaire entreprise par la France en Irak. Cette déclaration se doit d’afficher clairement un certain nombre de choses. Il faut définir les moyens engagés, la durée prévue de l’action, le prix matériel et humain que le pays est prêt à payer.
Mais, avant tout, il faut définir le but recherché et prouver que la décision prise par le Chef de l’Etat, chef des Armées, d’engager des forces était une nécessité incontournable et est une priorité absolue dans le cadre de la défense des intérêts de la France et que cette opération est légitime. Il y a déjà eu un enlèvement et diverses déclarations très hostiles -qui risquent d’être traduites en actes- faites par des responsables de l’Etat Islamique et de mouvements qui lui sont proches. De leur côté, plusieurs Ministres ont tenu des discours martiaux et affirmé que la France ne se laisserait pas intimider. Clairement, ceci est une déclaration de guerre contre un mouvement qui, à la différence des entités terroristes combattues par ailleurs, dispose maintenant d’une large implantation territoriale et se présente comme une Nation.
Tant que les moyens engagés se limiteront à six avions de combat, un ravitailleur et un avion de patrouille maritime et de renseignement et qu’ils ne seront pas employés en dehors de l’Irak, ils ne pourront qu’affaiblir l’EI. Aussi efficaces soient-ils, les moyens engagés par la France constituent une participation qui relève avant tout de l’affichage, alors que les discours des politiques sont beaucoup plus volontaristes. Il semble que la volonté d’aller jusqu’à la destruction de ce mouvement, qui est le but clairement affiché par l’administration américaine, nécessite pour le moins des moyens beaucoup plus importants et l’attaque de cibles situées dans un périmètre plus vaste. D’ailleurs, contrairement à ce qui s’est passé pour la Libye et la Syrie, le discours officiel ne parle pas "d’amener à la table de négociations". Il paraît donc indispensable, pour tenir un langage cohérent, de parler au moins de "participation à la destruction".
Toute coalition ne peut s’envisager que dans le cadre d’une coordination. On note d’ailleurs que si des pays arabes sont engagés dans des opérations communes, leurs militaires n’ont pas l’habitude du travail en commun et des procédures standardisées de l’OTAN, ce qui posera des problèmes opérationnels ou imposera de sérieuses limitations. A ce jour, les déclarations du Président américain n’ont pas encore apporté toutes les clarifications que l’on pourrait attendre, tant sur le périmètre de la coalition que sur la place que sur ce qui était demandé à ses membres. Encore une fois, on a l’impression que, tant aux Etats Unis qu’en France et dans bien d’autres pays, ceux qui mettaient en garde contre la montée de fondamentalismes au fonctionnement différent de ceux d’Al Qaida n’ont pas été écoutés. D’où un effet de surprise quand l’armée irakienne s’est débandée et une certaine improvisation. Par ailleurs, les Etats-Unis ont démontré que, s’ils étaient plus capables que n’importe quel autre pays de remporter un succès initial, ils éprouvaient -comme les autres- les pires difficultés à maintenir la paix et à transmettre un pouvoir stable et incontesté aux autorités locales. On note aussi que cette opération, s’ajoutant à d’autres, se place dans un cadre économique très contraint. Le Président a certes promis de sanctuariser le budget de la Défense, mais le coût des nouvelles opérations extérieures s’ajoutera aux existantes. Il est très peu probable que le budget soit abondé en conséquence et cela se traduira donc par une baisse supplémentaire des ressources disponibles.
Il ne s’agit plus d’une "Guerre d’Irak", mais bien d’une guerre qui concerne directement toute une région et plusieurs nations, dont l’une, le Kurdistan, n’a pas vraiment d’existence. Le Président Obama, confronté à son opinion publique, a commencé par promettre qu’il n’y aurait pas de troupes américaines au sol. Il commence déjà à revenir sur cette annonce, en envoyant des "conseillers" qui, pour le moment, ne sont pas supposés prendre part aux combats. C’est ainsi que les choses avaient commencé au Vietnam. Les frappes aériennes permettront d’interdire à l’EI l’utilisation de matériels lourds et le contraindront à se réfugier dans la guérilla et l’asymétrie. Mais ses combattants pourront disposer en Syrie d’un sanctuaire où l’on imagine mal les troupes des puissances régionales se déployer sans le faire en coordination avec celles de Bachar El Assad. Si le but de guerre de la coalition est bien de "détruire" l’EI, ce qui est le seul objectif cohérent que l’on puisse imaginer, il faudra un jour ajouter "où qu’il se trouve". Cela imposera alors de tenir un langage de vérité en direction de Damas, mais aussi envers les capitales des puissances régionales qui n’ont pas toujours une politique très claire. Et si le but final est de mettre hors d’état de nuire les différents fondamentalismes, la solution militaire ne suffit pas. Il faut faire le nécessaire, sur le plan sociétal, pour que l’attrait pour le djihad disparaisse.