ANALYSES

Australie : quels positionnement et rôle sur la scène internationale ?

Interview
30 septembre 2014
Le point de vue de Barthélémy Courmont
Comment expliquer l’implication croissante de l’Australie sur la scène internationale? Comment définir sa diplomatie ?

Pays gigantesque bénéficiant de riches ressources, minières en particulier, l’Australie est aussi le pays militairement le plus puissant de la région, et sa présence dans le Pacifique comme dans l’océan Indien lui offre un emplacement stratégique privilégié. Canberra s’est fortement investi dans des opérations dans le Pacifique sud, souvent en collaboration avec la Nouvelle-Zélande, et est par ailleurs la principale destination des mouvements migratoires dans cette région. Son implication grandissante sur la scène internationale s’explique d’une part par le développement de ses liens économiques et commerciaux, notamment avec les puissances asiatiques, d’autre part par l’identification du risque migratoire (l’Indonésie et son immense population est à sa périphérie) que partagent de manière plus ou moins affichée les différents partis politiques, qui se succèdent au pouvoir, et enfin par la volonté de sortir de « l’angle du monde » dans lequel sa géographie peut facilement la retenir prisonnière.
Au cours de la dernière décennie, Canberra a affirmé ou réaffirmé son partenariat avec trois acteurs principaux. D’abord les Etats-Unis, allié proche depuis la Seconde guerre mondiale, qui dans le cadre de sa stratégie du pivot vers l’Asie, a vu dans l’Australie un allié fiable. On se souvient ainsi du discours d’Obama au Parlement australien, et de la décision de stationner 2 500 Marines dans le Nord du pays – sans que la mission justifiant cette présence soit par ailleurs clairement définie. L’Australie a également engagé un partenariat stratégique avec l’Inde, en particulier autour des capacités navales des deux pays, qui sont les principales forces dans l’océan Indien (à l’exception des acteurs extérieurs). Les deux pays partagent la même inquiétude face à la montée en puissance chinoise, et veulent éviter que Pékin n’impose son leadership dans le troisième plus grand océan du monde. C’est aussi et enfin la méfiance à l’égard de la Chine qui pousse Canberra à se rapprocher de Tokyo, où les conservateurs actuellement au pouvoir cherchent par tous les moyens de nouveaux alliés face à Pékin. Ces partenariats restent fragiles, car construits sur des situations qui ne sont pas figées et des intérêts en phase de convergence mais sans assurance qu’ils le soient de manière permanente. D’ailleurs, le redéploiement américain au Moyen-Orient ne risque-t-il pas, s’il s’inscrit dans la durée, de se répercuter sur les promesses adressées à l’allié australien ?
Dans le même temps, l’Australie a considérablement consolidé ses liens avec les pays asiatiques, qui sont de très loin ses principaux partenaires commerciaux. Et l’immigration récente est dans sa majorité issue des pays asiatiques. D’où une politique étrangère, qui donne parfois l’impression d’être schizophrène , et est à l’image d’un pays qui peine encore à définir l’identité la plus appropriée à ses réalités économiques, sociales et culturelles. Un nombre impressionnant de travaux ont ainsi été consacrés à ces questions au cours de la dernière décennie.

Quel lien l’Australie, dite terre de migrants anglo-saxons et puissance occidentale, entretient-elle avec l’Asie ?

Comme je l’ai mentionné plus haut, c’est une question difficile, d’abord parce qu’elle n’est pas vraiment tranchée, ensuite et surtout en raison de son implication politique. Votre question elle-même y répond de manière qui peut prêter à critique, puisque vous avancez que c’est une « terre de migrants anglo-saxons et une puissance occidentale ». C’est nier la présence des peuples aborigènes en Australie avant l’arrivée de Cook, c’est minimiser l’importance de l’immigration en provenance de pays non anglo-saxons (autres peuples européens, du Moyen-Orient, et bien sûr d’Asie orientale), c’est enfin accorder à un groupe ethnique qui est issu de l’immigration le droit de définir les racines culturelles d’un pays. Cette erreur de jugement est compréhensible, puisqu’il s’agit de la posture officielle de l’Australie jusqu’à ce qu’elle porte un regard plus serein et objectif sur son passé.
La vraie question est de savoir si le lien avec l’Asie auquel vous faites référence doit être compartimenté ou global, s’il doit se faire sur la bases d’échanges, ou être au contraire inclusif. En d’autres termes, compte-tenu de sa géographie, de ses échanges commerciaux, de son intérêt national et aussi de la composition de sa population – qui a bénéficié ces dernières décennies de nombreuses arrivées en provenance des pays asiatiques – l’Australie est-elle, toujours, une puissance occidentale, ou doit-elle se redéfinir comme une puissance asiatique. Cette question est particulièrement pertinente sur les enjeux sécuritaires. Canberra peut manifester un intérêt pour la question ukrainienne et décider de participer aux opérations contre l’Etat islamique, cela ne change pas la donne sur le fait que des problèmes en Asie du Sud-est, proche de son territoire, sont infiniment plus importants à ses yeux, et pour les Australiens. Difficile d’être un occidental à (très longue) distance tout en refusant d’être un asiatique et vivre aux portes de l’Asie.

Pourquoi l’Australie s’est-elle décidée à rejoindre la coalition contre Daesh? Cela a-t-il été décidé en lien avec sa future adhésion à l’OTAN?

Tout d’abord, il convient de rappeler qu’un engagement de l’Australie dans des missions aussi éloignées de son territoire n’est pas récent. Canberra faisait même partie, sous le cabinet Howard, de la coalition formée par les Etats-Unis pour combattre l’Irak en 2003 – ce qui est au passage un choix singulier, la Nouvelle-Zélande voisine refusant par exemple de se joindre à cette coalition. Il n’est donc, en soi, pas surprenant de voir l’Australie se joindre à cette nouvelle opération. Canberra s’inquiète par ailleurs des risques liés au terrorisme transnational. La proximité de l’Indonésie et des Philippines, où des mouvements islamistes multiformes sont implantés, ainsi que les risques sur son propre territoire, comme l’a encore récemment illustré l’agression d’un terroriste présumé contre deux policiers, avant d’être abattu.
Il s’agit ensuite d’un geste politique. Le Premier ministre libéral (parti conservateur), Tony Abbott, cherche à contrebalancer les initiatives prises par les Travaillistes au pouvoir avant lui (cabinets Rudd et Gillard), notamment cette tentative de redéfinir l’Australie comme une puissance asiatique ainsi que cela a été mentionnée plus haut. En se joignant au bloc occidental, Abbott perpétue une tradition de son parti, dont John Howard fut avant lui le dernier représentant au pouvoir.
Pour le reste, soyons clairs, voir un pays du Pacifique sud rejoindre l’Organisation du Traité d’Atlantique Nord est soit une anomalie géopolitique qui peut faire sourire, soit le signe que l’OTAN est en train de se muer en une organisation regroupant les pays occidentaux, ce qui l’éloigne fondamentalement de ses fondements et généralise la question des opérations extérieures, qui deviendraient la norme, ou par essence n’en seraient plus ! Et ce n’est pas forcément une évolution souhaitable, à moins d’y mettre les moyens et de définir des objectifs communs hors des slogans consensuels « guerre contre le terrorisme » et « maintien de la paix ». La question agite actuellement les cercles stratégiques à Canberra, qui se demandent si un tel choix est judicieux, surtout après avoir lancé un vaste débat sur l’ancrage de l’Australie à l’Asie… Canberra va devoir choisir entre réaffirmer son statut de pays occidental, ou accepter la réalité économique et sociétale qui lie l’Australie au continent asiatique.
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