ANALYSES

Le Sommet du 4 et 5 septembre a-t-il signé la transformation de la posture stratégique de l’OTAN ?

Interview
9 septembre 2014
Le point de vue de Olivier de France
Pourquoi le Sommet de l’OTAN était-il très attendu, et quels en étaient les enjeux ?

Ce sommet s’est tenu alors que, pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, est intervenue une remise en cause sérieuse des principes qui fondent la sécurité collective en Europe. Ce sommet devait montrer que les Occidentaux perçoivent tous cette menace, qu’ils cherchent à y faire face ensemble plutôt qu’en ordre dispersé, et ce faisant qu’ils fassent primer leurs intérêts à long terme sur leurs intérêts économiques à court terme.

En quoi peut-on parler d’une transformation de la posture stratégique de l’OTAN ?

Ce sommet sanctionne en effet une transformation de la posture stratégique de l’Otan telle qu’on n’en avait pas vu depuis un bon quart de siècle, et cette transformation s’est faite en tout et pour tout en six mois seulement.
Le sommet a acté la réémergence d’une notion qu’on pensait presque obsolète en Europe, celle de la défense du territoire européen et le recentrage de l’Alliance sur sa mission première, à savoir l’article 5 du traité de Washington sur lequel repose la solidarité et la sécurité collective des pays membres de l’OTAN (« Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties » NDLR). A cela s’ajoute l’effort concerté que tentent de développer MM. Obama et Cameron contre l’Etat Islamique au Moyen-Orient.

Quels sont les enseignements du Sommet ?

L’OTAN s’est engagée à « défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues ». Le reste de la déclaration s’évertue cependant à démontrer en réalité le contraire, puisque l’Alliance n’enverra ni troupes ni armes, ni munitions en Ukraine en son nom propre, et que l’Ukraine ne rejoindra pas l’OTAN. A la place, l’OTAN va proposer une aide concrète limitée qui devrait se matérialiser à moyen terme. Cette aide pourra prendre de nombreuses formes : par exemple un fond de 15 millions d’euros pour la réforme de l’armée Ukrainienne, une aide en matière de moyens de communications stratégiques, d’outils de cyberdéfense, et de traitement des blessés du conflit, etc.
Cela confirme les dires des chefs d’Etats britannique, français et américain, qui répètent à l’envie que la solution recherchée à la crise sera politique ou ne sera pas. Autrement dit, les chancelleries occidentales ont déjà décidé que la résolution de la crise ne serait pas militaire. En faisant cela, elles définissent de façon implicite mais néanmoins parfaitement claire les frontières de l’article 5 et donc de la sécurité collective européenne. A savoir à la frontière ouest de l’Ukraine, et non à sa frontière Est. Ni l’Ukraine, ni la Géorgie ne font partie de cet espace, aussi la garantie de sécurité ne s’étend-elle tout simplement pas à l’Ukraine ou à la Géorgie, même si c’est au prix de concessions à la Russie de la part de Kiev. Cela revient en dernier ressort à dire que l’on ne se battra pas pour l’Ukraine, comme l’on ne s’est pas battu pour la Crimée, et qu’une intervention militaire occidentale est tout simplement inenvisageable car le jeu n’en vaut pas la chandelle. Au fond rien de neuf, même si ce sommet a permis une clarification et une formalisation de la position des démocraties occidentales.
Autre élément, il s’agissait de rassurer le flanc Est de l’Alliance sur la crédibilité de la garantie de l’article 5. La Pologne et les Etats baltes souhaitaient ainsi voir l’OTAN déployer des troupes au sol de façon permanente, et Radoslaw Sikorski (le ministre polonais des Affaires étrangères) a proposé la création d’un bataillon de 10000 hommes stationnés en Pologne. Cette idée n’a cependant pas été retenue. Il n’y aura pas d’infrastructures en dur supplémentaires, d’armes ou de munitions. Par contre, une force de réaction rapide sera créée, au sein de la force de réaction préexistante qui a très peu servi et qui n’est pas jugée assez rapide. Les modalités exactes doivent encore être précisées, mais elle devrait comprendre entre 4000 et 8000 hommes. Par le jeu des rotations, la nouvelle mouture de la force de réaction rapide assurera une présence de troupes quasi permanentes, avec des exercices renforcés, des missions de surveillance plus systématiques, et un accroissement des capacités logistique nécessaires au déploiement de troupes dans les pays Baltes, en Roumanie et en Pologne. A noter, cette force a été mise en place pour une durée indéterminée : elle comporte un mécanisme par lequel elle peut être révoquée, mais qui nécessite auparavant l’accord des 28 Etats membres, ce qui implique en réalité qu’elle a un long avenir devant elle.
Enfin, du point de vue des Etats baltes, la crédibilité de l’article 5 a surtout été marquée du sceau de la présence et du discours du président Obama en Estonie. Les 28 Etats membres de l’OTAN ont par ailleurs reformulé de manière non contraignante le souhait que les pays alliés fassent progressivement remonter leurs budgets de défense vers les 2% de leur PIB à horizon de dix ans – ce vœu pieux restera cependant lettre morte, nul n’en doute, du moins au sein de la zone euro.
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