ANALYSES

L’Afghanistan est-il à un point charnière de son histoire ?

Interview
23 juillet 2014
Le point de vue de Karim Pakzad
L’Afghanistan est en train de subir une résurgence de violences. Qui se trouve derrière les multiples attentats perpétrés ces derniers jours ?

Depuis le deuxième tour des élections présidentielles, l’Afghanistan connait un nouveau cycle de violence et, de toute évidence, les Taliban sont responsables de cette situation. Ils ont multiplié les attentats pour plusieurs raisons. D’abord, les Taliban souhaitent se venger car ils ne sont pas parvenus à perturber le déroulement des élections puisque l’ensemble des forces de sécurité afghanes étaient mobilisées pour assurer la sécurité de ce scrutin. Elles sont aujourd’hui retournées à leurs tâches quotidiennes afin d’assurer la sécurité dans l’ensemble du pays, créant une fenêtre d’opportunité pour les Talibans.
Deuxièmement, le résultat des élections a suscité la déception parmi la population afghane. Le premier tour a vu une participation enthousiaste des électeurs, ce qui témoigne de leur souhait de paix et de démocratie. Toutefois, au second tour, cette espérance n’a pas été confirmée pas seulement à cause d’un taux de participation peu inférieur à celui du premier tour. En effet, l’annonce des résultats a été entachée de révélations de malversations et certains hauts responsables de la Commission électorale indépendante étaient impliqués dans l’organisation de ces fraudes. Ce qui a terni l’image déjà mal en point de la « démocratie afghane » et a laissé les observateurs dubitatifs sur la capacité du gouvernement afghan à se renouveler par des moyens démocratiques. Cela a également encouragé les Taliban à se lancer dans des actions violentes. Le candidat Abdullah Abdullah a dénoncé des fraudes massives en faveur de son adversaire.
Troisièmement, depuis deux mois, on assiste à une offensive de l’armée pakistanaise contre les Taliban pakistanais, ce qui a poussé une partie de ces combattants à se réfugier en Afghanistan. Ce mouvement a favorisé une jonction entre les deux mouvements talibans, afghan et pakistanais, ce qui vient renforcer les premiers. Il est même avéré que certains réfugiés pachtounes pakistanais qui se trouvent sur le sol afghan sont armés. Tous ces éléments concourent à ce que les Taliban multiplient leurs attentats contre les cibles gouvernementales.

Où en est-on des résultats des élections présidentielles soupçonnées de fraude ?
Le résultat du deuxième tour a été contesté par le camp d’Abdullah et cela dès la fin du jour du vote car il a été constaté que dans certaines régions, notamment le Sud et le Sud-est pachtounes, le nombre de votants aurait dépassé le nombre des inscrits. Ces fraudes expliquent qu’Ashraf Ghani, arrivé deuxième au premier tour avec 16 points de retard sur Abdullah, et qui n’avait enregistré le ralliement d’aucun autre candidat important, ait été donné gagnant. Cette situation a exaspéré les partisans d’Abdullah au point que ces derniers, bien implantés dans le Nord, le Centre et l’Ouest, ont menacé de constituer un gouvernement bis si l’ensemble des voix n’étaient pas recomptées, pour séparer les voix valides des voix frauduleuses. Cette menace sans précédent aurait pu compromettre la stabilité du pouvoir à Kaboul et faire le jeu des Taliban. Face à ce péril, les Etats-Unis sont intervenus très rapidement. John Kerry a fait un déplacement à Kaboul et après 24h de discussions intenses, les deux parties sont parvenues à un accord. Le secrétaire d’Etat américain a imposé une solution qui consiste à recompter l’ensemble des voix, selon le souhait d’Abdullah, et oblige le candidat déclaré vainqueur à nommer le vaincu chef du pouvoir exécutif. Autrement dit, il s’agit d’un partage du pouvoir ou, selon la terminologie utilisée en Afghanistan, de la constitution d’un gouvernement d’union nationale. Certes, ce procédé évite un affrontement entre les deux camps, mais le processus électoral et la démocratie se trouvent diminués.

L’Afghanistan est-il de nouveau à un point charnière se son histoire vivant 3 transitions simultanées, militaire, politique et économique (avec le retrait des forces de l’Otan, les soupçons de fraude qui entachent l’élection et un ralentissement économique lié aux incertitudes sur l’avenir du pays) ? Quels sont les enjeux ?

L’Afghanistan se trouve effectivement dans une période extrêmement importante de son histoire. A la fin de cette année, l’ensemble des forces combattantes de l’OTAN aura quitté le pays, bien qu’un accord bilatéral entre l’Afghanistan et les Etats-Unis prévoit le maintien d’une dizaine de milliers de soldats américains jusqu’à la fin 2016. Hamid Karzaï, du fait de sa posture anti-américaine de ces dernières années, avait refusé de signer cet accord, mais les deux candidats se sont engagés à le faire immédiatement après l’investiture. Ces troupes devront assurer la formation des forces de sécurité afghanes. Si en termes quantitatifs, l’Afghanistan dispose de moyens de défense importants avec 350.000 soldats, la qualité de son armée demeure précaire. C’est la raison pour laquelle, il n’y aura pas de paix durable en Afghanistan sans la tenue de négociations avec les Talibans. La question est de savoir si le gouvernement peut sauvegarder les acquis de ces 13 dernières années en matières des droits, notamment ceux des femmes, d’éducation des filles, en matière de libertés d’information, etc.
Deuxièmement, sur le plan économique, la crise a d’ores et déjà commencé. Le désengagement des forces étrangères s’accompagne de la fermeture de plusieurs dizaines de bases militaires, ce qui est synonyme de chômage pour le personnel afghan qui y était employé. Cela concerne plusieurs dizaines de milliers de personnes et pose donc un problème économique majeur. Par ailleurs, l’économie afghane est encore une économie de guerre où la corruption et le secteur informel sont très importants. En termes de production, l’économie afghane est incapable d’enrayer la montée du chômage, ce qui pose un problème social puisque les déshérités iront grossir les rangs des trafiquants de drogue ou les Talibans.
La participation enthousiaste de la population aux élections est une donnée nouvelle dans un pays en guerre depuis 2001. Cependant, la classe politique afghane a démontré son incapacité à s’adapter à cette situation. Ainsi, le partage du pouvoir en Afghanistan s’opère toujours sur une base ethnique et tend à refléter les rapports de force entre communautés ethno-religieuses. Le gouvernement d’union nationale, qui se formera quel que soit le résultat des élections, sera fondé sur le partage du pouvoir entre différents clans sur une base ethnique et confessionnelle. En définitive, l’Afghanistan est encore loin de connaître une situation de paix, de développement et de fonctionnement normal des institutions démocratiques.
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