ANALYSES

L’armée française a-t-elle encore les moyens de ses ambitions ?

Interview
17 juin 2014
Le point de vue de Jean-Pierre Maulny
Les exportations françaises d’armement ont bondi de 42% en 2013. Quelles en sont les raisons ? Est-ce un signe de bonne santé de ce secteur ?
Les exportations d’armement ont effectivement augmenté entre 2012 et 2013. Le chiffre qui devrait paraître dans le rapport au Parlement sur les exportations d’armement est d’un peu plus de 6 milliards et demi d’euros de commandes. Toutefois, le chiffre de 2012 était très bas et le chiffre de 2013 correspond en moyenne à ce que la France réalise en matière d’exportations d’armement. C’est naturellement une bonne nouvelle pour cette industrie, d’autant plus que les perspectives sont encore meilleures pour 2014. D’autant qu’avec les restrictions budgétaires qui touchent l’armée, l’industrie française de défense a besoin de ces exportations pour conserver une base technologique de défense qui soit compétitive et qui permette de fournir également les meilleurs produits aux armées françaises.

L’annonce de Jean-Yves Le Drian quant au programme Scorpion présage-t-il d’une détente dans le bras de fer autour des budgets alloués à la Défense ? Cela peut-il redonner confiance au moral en berne de l’armée ?
Ces dernières semaines, Ii y a eu un débat, relayé notamment par la presse, sur la question du budget de la défense et sur l’exécution de la loi de programmation militaire. Le président de la République a rappelé que l’arbitrage qui avait été décidé l’année dernière sur cette loi de programmation militaire restait le même, que la trajectoire sera respectée. Dans cette perspective, le programme Scorpion est important car il s’agissait du projet le plus menacé en cas d’encoche trop importante dans le budget de la défense. Il s’agit d’un programme qui est nécessaire aux armées française, notamment à l’Armée de Terre puisque les équipements actuels sont en fin de vie, en tout cas en ce qui concerne un certain nombre de blindés. Ne pas remédier à ce problème aurait pu poser des problèmes dans le futur. D’un point de vue sécuritaire tout d’abord car des équipements vétustes peuvent mettre en danger nos soldats. Plus encore, un problème de disponibilité opérationnelle se pose du fait que les matériels anciens ont tendance à tomber en panne ce qui rend leur coût d’entretien très élevé. Laisser perdurer la situation actuelle ne génère donc pas d’économie et donc, effectivement, l’annonce du ministre de la Défense est une bonne nouvelle au moment où se déroule le salon des armements terrestres Eurosatory.

Pour réduire les déficits publics, le gouvernement prévoit d’amputer le budget militaire de 350 millions d’euros alors que la vétusté des équipements français est déjà dénoncée. Cette baisse menace-t-elle les capacités d’intervention militaire française sur des théâtres extérieurs ?
La capacité actuelle d’intervention française à l’extérieur a été déterminée par le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et par la dernière loi de programmation militaire qui ont été publiés et adoptés en 2013. Notons en préambule qu’il s’agit d’une capacité en réduction par rapport au Livre blanc de 2008. Ce qui est certain c’est que cette loi a été calculée au plus juste, d’où l’irritation des responsables militaires alors que des bruits couraient sur des coupes budgétaires importantes de 1,5 à 2 milliards d’euros par an. L’annulation de 350 millions d’euros de crédits correspond quant à elle à la contribution du ministère de la Défense aux économies budgétaire. A ce titre, tous les ministères sont concernés par ces réductions et il eut été difficile de faire un cas particulier pour le ministère de la Défense.
Pour autant la situation est délicate. Dans la situation actuelle le coût de nos opérations extérieures sur une année s’élèvera à environ 800 millions d’euros alors que seulement 450 millions d’euros ont été provisionnés dans le budget de la défense 2014. Additionné à l’annulation de crédits de 350 millions d’euros le manque à gagner est déjà de 700 millions d’euros soit 2% du budget. D’autant que les recettes exceptionnelles, qui sont d’un montant important sur le début de la programmation militaire 2014-2019, en moyenne 1,5 milliard d’euros, ne seront peut-être pas au rendez-vous.
Pour conclure, la capacité d’intervention militaire française à l’extérieur n’est pas menacée pour le moment mais pourrait l’être si les réductions budgétaires deviennent plus importantes ou si elles se prolongent dans le temps. L’industrie pourrait également souffrir de cette situation car le plus simple et le plus rapide quand vous avez des économies à faire est de différer des commandes d’armement ce qui enlève toute visibilité à l’industrie de défense. On ne peut compter uniquement sur le développement des exportations pour faire vivre cette industrie. Le ministère de la Défense doit parvenir à faire des économies de fonctionnement, mais il est vrai que ce ministère est perpétuellement en réforme depuis 25 ans. Aussi des difficultés pourraient apparaitre l’année prochaine ou en 2016.
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