ANALYSES

Reprise des négociations entre l’Iran et le P5+1 : quels enjeux ?

Interview
13 mai 2014
Le point de vue de Thierry Coville
Quels sont les enjeux de ce nouveau round de négociations, qui débute aujourd’hui, entre l’Iran et le P5+1 ?
On peut dire qu’on arrive dans le sprint final, la date butoir pour aboutir à un accord final sur le nucléaire ayant été fixée à juillet 2014. Il s’agit donc de la dernière phase, qui est peut-être la plus importante, durant laquelle le P5+1 et l’Iran vont essayer de parvenir à un accord qui règlerait définitivement la question du nucléaire : c’est-à-dire un accord qui dessinerait les contours définitifs du programme nucléaire iranien de telle manière qu’il soit acceptable à la fois pour la communauté internationale, représentée par le P5+1, et pour le régime iranien.

Alors que le président Rohani a rappelé il y a deux jours que le programme nucléaire iranien visait à améliorer les capacités énergétiques de son pays ainsi que le traitement du cancer, les pays occidentaux, et plus particulièrement les États-Unis et Israël, maintiennent que l’objectif de Téhéran est d’acquérir l’arme nucléaire. Quelles sont les véritables intentions de l’Iran selon vous ?
Justement, c’est la raison pour laquelle on n’a pas avancé depuis dix ans. Ces affirmations sont absolument improuvables et on pourrait d’ailleurs soupçonner de nombreux pays dans le monde quant à leurs intentions vis-à-vis de leur programme nucléaire. Aussi, on ne peut pas sortir de cette crise si on n’arrête pas de se demander sans arrêt quelles sont les intentions de chacun et c’est pour cela que le niveau de confiance entre les deux parties est tellement bas.
Au final, la question est de trouver un accord crédible d’où l’objectif du processus qui a été mis en place et qui vise à sortir de la crise en rétablissant un minimum de confiance entre les deux parties. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se passer car si on se rappelle de l’historique, on voit que les négociations avancent parce que l’Iran, dans une première phase, a arrêté d’enrichir l’uranium à un niveau supérieur à 5 % ce qui voulait dire qu’il n’avait plus de visée militaire puisque, dans ce cas-là, il faut que l’uranium soit enrichi à un niveau de 90 %. En échange, les pays occidentaux ont supprimé un certain nombre de sanctions. Donc pour l’instant, l’Iran a rempli sa part du contrat ce qui montre bien qu’il veut parvenir à un accord sur la question du nucléaire. C’est aussi là que se trouve l’intérêt du processus mis en place car dès qu’une des deux parties ne remplit pas sa part du contrat, tout s’arrête.
Je pense que la meilleure réponse à votre question est le fait que les négociations aboutissent, et ce, parce que les Iraniens, qui répètent qu’ils ne veulent pas de nucléaire militaire, sont prêts à donner les garanties à ce sujet-là. Ils désirent poursuivre leur programme parce qu’ils ont effectivement des intérêts énergétiques, notamment la diversification de leurs sources d’énergie, et également des intérêts scientifiques comme l’utilisation du nucléaire dans la lutte contre le cancer, etc. Du côté occidental, l’idée est que l’Iran donne toutes les garanties possibles d’où, encore une fois, l’intérêt des négociations qui sont en cours. Celles-ci visent notamment à obtenir une caution et à définir le niveau d’enrichissement de l’uranium qui sera laissé à l’Iran. Il sera aussi question du site d’Arak qui pourrait effectivement être utilisé dans la construction d’une arme atomique. L’idée est également que l’Iran signe le protocole additionnel du Traité de non-prolifération qui permettrait à l’Agence internationale de l’énergie atomique de faire des visites-éclair. En résumé, l’objectif est que l’Iran donne toutes les garanties sur le fait que son programme nucléaire futur ne puisse pas être militarisé.

Depuis son arrivée au pouvoir, il y a un peu plus de huit mois, le président Rohani a engagé des réformes majeures. Ont-elles été efficaces jusqu’ici ? Aussi, les Iraniens sont-ils satisfaits de la politique menée par Rohani sur le plan intérieur ?
Je pense que les chalenges sont réellement énormes. Pour ce qui est du président Rohani, il faut bien voir que sa priorité est de redresser l’économie iranienne qui souffre beaucoup des sanctions et pour cela, il a besoin d’un accord sur le nucléaire. Pour l’instant, c’est son principal objectif et on voit que le gouvernement iranien a vraiment la volonté d’aboutir à un accord. A ce jour, la situation économique s’est un petit peu améliorée dans le sens où l’inflation a ralenti grâce à une légère réappréciation de la monnaie iranienne. Il y a eu également une levée très partielle des sanctions qui a un peu amélioré la situation économique mais celle-ci reste quand même difficile. On peut dire que Rohani n’a pas complètement atteint ses objectifs qui étaient d’ailleurs la base de sa plate-forme électorale, c’est-à-dire de sortir de la crise du nucléaire par la négociation et d’améliorer la situation économique. C’est pour cela qu’à mon avis, la principale échéance pour lui sur le plan de la politique intérieure est d’aboutir à un accord sur le nucléaire et on voit qu’il est très attaqué par les radicaux sur les négociations, sur les implications pour l’Iran d’une reprise des relations avec les États-Unis.
Il faudra effectivement voir, dans le cas d’un accord, comment le président Rohani arrivera à communiquer sur celui-ci en Iran même. A priori, cet accord, s’il n’est pas défavorable – c’est-à-dire si l’Iran estime que ses droits à l’enrichissement de l’uranium sont respectés – sera bien accepté par la population qui veut l’arrêt des sanctions. Il faudra également observer les réactions des différents groupes politiques. Mon diagnostic est qu’un accord sur le nucléaire renforcera le camp de Rohani, celui des modérés. A partir de là, les Iraniens attendent du président qu’il poursuive ses réformes comme la libéralisation de l’économie iranienne et également qu’il en fasse plus en matière d’ouverture politique et de respect des droits des minorités ethniques. A ce propos, on a assisté récemment aux nominations de femmes à des postes importants, notamment celui de gouverneur au Baloutchistan. Au final, je pense que la faible marge de manœuvre de Rohani – car il est quand même très critiqué par les « durs » – pourra être un petit peu élargie en cas d’accord sur le nucléaire et c’est pour cela que c’est tellement important pour lui.
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