ANALYSES

Le non brésilien au Rafale, une illustration des relations franco-brésiliennes ?

Interview
19 décembre 2013
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliansky, chercheur à l’IRIS
Comment comprendre la décision du Brésil de préférer le Gripen au Rafale français ?
C’est le principe de réalité. Il y a 2 raisons essentielles.
La première est d’ordre purement financier. Le Brésil traverse une période très compliquée ces derniers mois. Il y a eu un tassement de la croissance, l’inflation est repartie, la pression sociale est très forte depuis les mois de mai – juin avec des demandes précises qui ont demandé des efforts qui n’étaient pas prévus initialement de la part des autorités, pour améliorer le système des transports, le système sanitaire et d’éducation. Donc le choix s’est reporté, parmi les 3 avions qui restaient en lice (F-18, Rafale, Gripen), sur l’avion qui présentait les dépenses minimales tout en ne présentant pas d’obstacles politiques. Les relations avec les Etats-Unis se sont tendues depuis l’affaire de la NSA, et de l’espionnage massif opéré par les autorités américaines y compris à l’égard de la présidente brésilienne dont les communications personnelles (téléphone et mail) auraient étés suivies par les services de renseignements des Etats-Unis. L’offre américaine devenait ainsi relativement incorrecte, quant à l’offre française, elle était vraiment très chère, selon les estimations qui ont étés faites par la structure qui était chargée d’étudier les appels d’offre au Brésil. Le résultat est donc là.
Le deuxième élément : en dépit de la visite qui a été effectuée il y a quelques jours par le président français, les relations entre la France et le Brésil, depuis une dizaine d’années, peinent à trouver leur rythme et à s’accorder ; il y a des divergences concernant la gestion des affaires du monde, la gestion des crises. Les Brésiliens et les Français ont été, à plusieurs reprises, sur des positions différentes en ce qui concerne la crise iranienne, celle de Libye et de la Syrie ainsi que les différentes crises connues par des pays africains comme le Mali et même la Centrafrique. L’intérêt pour représenter l’offre française était de couronner par un accord de ce type, des convergences en matière diplomatique, entre une puissance installée, mais qui n’est pas une grande puissance, et une puissance émergente. Cela n’a visiblement pas été le cas, d’autant plus que la France limite en Amérique latine ses ambitions à une diplomatie qui se définit comme économique et non pas stratégique. Les Brésiliens n’avaient donc aucune raison politique de privilégier l’offre française.

Peut-on aussi considérer ce choix comme un échec politique et diplomatique pour la France qui semble peiner à instaurer des relations privilégiées avec le Brésil ?
Je ne sais pas si c’est un échec. Si échec il y a, on parle de principe de réalité, pour les deux pays. Le Brésil avait de grandes ambitions qui ont été quelque peu ralenties ou réduites par la crise économique qui les touche finalement, depuis quelques mois. Ce pays est donc obligé d’en tenir compte dans les dotations affectées à ses forces aériennes. Ils ont choisi un avion qui ne présente pas toutes les qualités nécessaires pour assurer la dimension sécurité d’un pays comme le Brésil. C’est un avion qui est strictement limité à la défense du territoire brésilien, qui est mono réacteur donc sur un territoire qui est quand même extrêmement vaste, cela peut présenter un certain nombre d’inconvénients. Les Brésiliens ont été obligés de tenir compte de leurs capacités financières et donc de réduire la voilure sur le terrain militaire, ce qui veut dire aussi sur le terrain de leurs ambitions diplomatiques. En ce qui concerne la France, c’est sans doute le prix à payer à la normalisation française. Un alignement sur le dénominateur commun moyen, occidental et européen, qui fait que la France s’est banalisée. Elle présente certainement moins d’intérêt dans la mesure où elle ne se situe plus que sur le terrain des échanges commerciaux économiques vis-à-vis de grandes puissances émergentes comme le Brésil.

Comment s’inscrit ce choix du Gripen dans la stratégie globale de défense du Brésil ?
Il est en décalage avec les choix qui ont été opérés précédemment. Le Brésil privilégiait l’achat d’armement présentant deux avantages : transferts de technologies et non-dépendance à l’égard du pays vendeur. Les transferts de technologies seront limités dans le cas de cet avion puisque la partie suédoise de l’appareil est faible. Il est motorisé par une entreprise nord-américaine. D’autre part, étant motorisé par une entreprise américaine, l’autorisation de vente éventuelle au Brésil est soumise au bon vouloir du pays producteur du moteur soit les Etats-Unis. Cela traduit quelque part un décalage, si l’on regarde ce qu’il s’est passé jusqu’ici dans les achats effectués par le Brésil pour d’autres matériels. Le Brésil sera avec ce contrat sous l’influence, sinon la dépendance, de la grande puissance régionale vis-à-vis de laquelle il avait souhaité prendre des distances. C’est la raison pour laquelle avant la fin de son mandat, le président Lula avait, lui, signalé que le meilleur choix pour le Brésil aurait été celui de l’avion français.
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