ANALYSES

Catastrophe naturelle aux Philippines : quels enjeux pour les ONG ?

Interview
19 novembre 2013
Le point de vue de Michel Maietta
Quelles sont les urgences humanitaires et sécuritaires auxquelles doivent faire face les ONG après le typhon qui vient de toucher les Philippines ?
12,9 millions de personnes ont été affectées par cette crise et plus de 4 millions de déplacés (selon l’Office for the Coordination of Humanitarian Affairs – OCHA) sont dispersés sur un territoire géographiquement complexe qui est composé de grandes et petites îles et où les moyens de transport ne sont plus performants, toute l’infrastructure étant également atteinte par ce drame. Comme dans tout désastre naturel, il y a un besoin urgent en eau et l’on dispose de 72 heures pour essayer de garantir aux victimes un accès suffisant à de l’eau potable. Aussi, on dispose de très peu de temps pour délivrer des biens de première nécessité : des biscuits hyperprotéinés, de la nourriture de base mais aussi de quoi se loger de manière temporaire (tentes). N’oublions pas les risques sanitaires, liés aux conditions de vie, et qui doivent faire l’objet d’une attention particulière tout au long de la phase d’urgence. Ensuite, ce qui est très problématique pour ce type de réponse, c’est la logistique et les déplacements à la suite d’un désastre naturel. Naturellement, les routes sont barrées, les moyens de transport sont hors-service : il est donc clair qu’il faut libérer de manière urgente les routes des débris. Certaines agences sont déjà en train de préparer des programmes spécifiques dits « d’argent contre travail » pour accélérer le processus. Il y a également un besoin énergétique tels du fioul, des générateurs mais aussi de camions et tout équipement de télécommunications qui permettent aux gens de pouvoir se retrouver et aux acteurs de pouvoir communiquer de la manière la plus efficace.
En termes sécuritaires, on a fait face, surtout dans les premiers jours, à des problématiques classiques. Quand la population n’a pas eu accès à des biens essentiels, les frustrations s’exacerbent, il est clair qu’il peut y avoir des épisodes de violence. Mais à l’heure actuelle, avec l’arrivée progressive de l’aide, ces petits incidents s’estompent. Cela étant, toute opération de distribution reste un moment assez délicat et il faut faire attention aux indicateurs de tension. Mais cela reste quelque chose de très classique qui n’est pas inhérent à cette crise spécifique.

L’organisation humanitaire avait été beaucoup critiquée après le tremblement de terre en Haïti, les ONG semblent ne pas vouloir renouveler les erreurs commises. Concrètement comment la coordination entre les différents intervenants s’organise-t-elle ?
Il est clair qu’un des points critiques qui ont été soulevés, surtout dans la réponse en Haïti, fut la coordination. Une des leçons apprises est que cette coordination doit être holistique. En Haïti, il y a eu une sorte de dichotomie entre les coordinations internationale et nationale. Or, nous avons appris de cette leçon que la coordination doit être « glocal », soit entre le local, le national et l’international. Il existe des mécanismes de coordination. L’un d’entre eux au niveau international est le IASC (Inter-Agency Standing Committee) qui est une agence chargée de la coordination entre les agences des Nations Unies et les ONG dont émanent les Humanitarian Country Teams ; mais il y a aussi le Gouvernement National ainsi que le Conseil National de Coordination pour les Désastres. Tous ces organismes doivent être en coordination entre eux et avec les acteurs locaux et internationaux. Concernant les ONG, la priorité doit être donnée à l’appui des capacités locales car ce sont normalement les acteurs locaux, structurés ou pas, qui sont les premiers à répondre.
Une ONG internationale ne sera jamais capable, même en 24 heures, d’être immédiatement efficace sur site : il lui faut du temps pour s’organiser et s’installer ; le relais local est donc essentiel, surtout pour développer sa réponse en échelle. Idéalement, il aurait fallu créer ce lien avec les acteurs locaux en amont, pour répondre au mieux aux éventuels désastres. Si cela n’est pas le cas, il est essentiel de donner un espace très large aux communautés qui sont affectées. Les communautés doivent être encouragées à s’approprier la réponse à la crise et doivent être partie prenante des mécanismes décisionnaires et de contrôle, mais aussi de tout type de stratégie de réponse qui peut être mené sur le terrain.
Aussi, la qualité de l’action reste une préoccupation majeure de l’ensemble des organisations. Cette qualité commence dès le début avec des approches très spécifiques dans l’identification des besoins et dans la conception des réponses. Evidemment, il existe d’autres points qui ont pu être identifiés lors de l’analyse critique des réponses apportées à la crise en Haïti mais aussi pendant la réponse au tsunami de 2004 : ceux-ci sont synthétisés dans un document->http://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/obs_questions_humanitaires/20131120-ENG-Save-The-Children.pdf] disponible sur l’Observatoire [des questions humanitaires de l’IRIS.

N’est-on pas une nouvelle fois sur une problématique entre forte mobilisation tous azimuts sur la Toile, les médias et autres, et la difficulté de l’arrivée de l’aide concrète sur le terrain ?
La difficulté est principalement logistique. Malheureusement, comme je l’ai dit plus haut, c’est un théâtre complexe avec un archipel d’îlots. De plus, la densité de la population est très dispersée et on sait par exemple aujourd’hui qu’il existe probablement des groupements de populations qui n’ont pas encore reçu d’aide substantielle. D’énormes moyens logistiques militaires ont été mis à disposition par des gouvernements étrangers et ceux-ci sont en train d’accélérer l’accès aux différentes zones, surtout depuis quelques jours. Or, la Toile et les médias ont certainement une autre dimension puisque tout est perçu comme accessible immédiatement. Le problème est que la réalité est bien différente : la contrainte géographique est présente et reprend le dessus. L’accès aux victimes peut paraître aisé vu des media, et on peut ne pas comprendre pourquoi on ne parvient pas à répondre à cette crise plus rapidement. Or les difficultés sont réellement liées à la nature du territoire et à sa géographie complexe, ainsi qu’à la destruction des moyens et structures de transports.