ANALYSES

Mali : quel est l’impact de l’assassinat des deux journalistes ?

Interview
5 novembre 2013
Quel est le bilan sécuritaire au Nord Mali après l’assassinat des deux journalistes français ?
La sécurité est loin d’être totalement assurée. Il faut quand même relativiser parce que 90% du territoire et de la population malienne est relativement sécurisée, les élections présidentielles ont eu lieu dans de bonnes conditions, vraisemblablement les élections législatives auront lieu aussi dans de bonnes conditions, même si des attentats suicide ou des actions de kamikazes sont toujours possibles. Il reste effectivement la question des villes du Nord, GAO, Tombouctou, Tessalit et surtout Kidal. Il faut savoir que Kidal est une ville de non-droit, c’est un une espèce de far-West contrôlée par le MNLA touareg mais avec la présence de l’ancienne mouvance d’Ansar Dine et d’autres milices. L’Etat malien n’y est pas réellement présent, il n’y a que 200 militaires mais qui n’assurent pas la police. Kidal est donc une des zones non sécurisée – on l’a vu avec le tragique assassinat des 2 journalistes français. Il est certain qu’il faut impérativement qu’un Etat de droit revienne dans ces zones et notamment à Kidal.

En quoi l’unification des 3 groupes djihadistes que sont le MNLA, le MAA et le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad peut-elle représenter une avancée en vue de négociations avec le gouvernement ?
Il y a actuellement des négociations que l’on appelle les assises qui se tiennent au Nord, mais aussi la préparation des élections qui auront lieu le 24 novembre, tout comme des négociations qui ont lieu entre les Touaregs et les représentants du gouvernement malien. Ceci étant, la situation est loin d’être facile ; la France qui a notamment joué un rôle d’intermédiaire a parfois été accusée par les autorités maliennes d’être trop proche du MNLA. Tout n’est pas joué actuellement et il faut savoir que l’on a des jeux permanents d’alliances, de désalliances, de recompositions qui apparaissent. Actuellement, l’ancien Ansar Dine (notamment son chef qui s’appelle Iyad Ag Ghali) veut avoir une impunité. Il a vraisemblablement été l’un des négociateurs importants dans la libération des 4 otages d’Arlit et il veut retrouver une certaine légitimité et se rapproche du MNLA. Cela même s’il est dans une tradition beaucoup plus religieuse, souhaitant instaurer la Charia, et a ainsi été beaucoup plus proche des djihadistes que ne l’a été le MNLA – le MNLA a quand même fait au départ des alliances avec les djihadistes mais a été dépassé et s’en est éloigné.
On ne sait pas encore qui a commis l’assassinat des 2 journalistes, il faut donc être très prudent. Toutefois, les pistes les plus sérieuses semblent tendre vers la piste touareg, envisageable dans la mesure où les 4 ravisseurs parlaient Tamashek ; cela étant, ils ont vraisemblablement été commandités par différents groupes, à moins encore qu’il ne s’agisse d’une bavure (ce qui est peu crédible cependant). A mon avis, cela vient plutôt d’autres groupes, que ce soit Aqmi, les Signataires du Sang de Mokhtar Belmokhtar, le Mujao et donc de groupes non Touaregs. Je pense que les Touaregs vont peut-être paradoxalement avoir plus de volonté de s’unir par rapport à ce qui vient de se passer, même si certains ont accusé le MNLA et les dissensions au sein du MNLA d’être à l’origine de ces crimes mais, pour le coup, je n’y crois guère. Je pense que l’ex-Ansar Dine n’avait pas non plus intérêt à ce genre d’action. Cela étant, les alliances sont toujours provisoires.

Vous avez mentionné les élections législatives qui vont se tenir dans une vingtaine de jours. Quels en seront les enjeux ?
Cela va dans la continuité des élections présidentielles qui, je le rappelle, se sont bien déroulées, et qui ont donné sans aucun problème, ni débat, le pouvoir à Ibrahim Boubacar Keita (IBK), qui dispose d’une assez grande majorité. Les élections législatives vont plutôt appuyer le pouvoir d’IBK en sachant que le Mali a encore un nombre incroyable de défis à relever, que ce soit le défi du relèvement économique, de la reconstitution de son armée, de la sécurité du Nord, des transformations constitutionnelles en donnant plus de droits aux minorités sans que certaines aient la possibilité d’imposer leurs lois ; donc l’indépendance voire l’autonomie des Touaregs n’a aucune légitimité historique au sein de l’Azawad. Ils sont minoritaires au point de vue groupe, mais il faut leur accorder, bien sûr, des droits plus importants et trouver des réponses. Cela peut passer par la décentralisation, par différentes actions au niveau des collectivités territoriales, etc. Les élections vont ainsi aller dans le sens de la reconstruction démocratique du Mali qui est une absolue nécessité.
Ceci étant, le gros problème est que, pour l’instant, l’armée malienne est dans l’incapacité d’assurer la sécurité du pays, que la Minusma est extrêmement en retrait par rapport à ce qui était prévu (6 000 hommes au lieu de 12 000) et, de fait, c’est la force Serval qui est en première ligne et qui va vraisemblablement le rester. Cela va se traduire par l’arrivée de nouveaux effectifs pour assurer la sécurité. C’est un problème que ce soit une armée étrangère qui assure la sécurité d’un pays qui est tout de même indépendant depuis plus de 50 ans, et que le reste des Européens soient totalement absents dans ce processus.