ANALYSES

NSA : des méthodes ‘old school’ pour plus d’efficacité ?

Interview
22 octobre 2013
Comment expliquer cet intérêt manifeste de la NSA pour la France ? A ce titre, la NSA se serait intéressée de près à Wanadoo et Alcatel. Plus que de l’espionnage pour des raisons de sécurité nationale, ne s’agirait-il pas également d’intelligence économique ?
Je ne sais pas s’il y a un intérêt si particulier de la NSA pour la France. Il existe un gigantesque système qui couvre aussi bien l’Amérique latine, l’Asie et dont la France « bénéficie ». Et, nous sommes beaucoup moins écoutés que l’Iran ou le Pakistan.
Toutefois, dans le cas de la France, lorsque les écoutes portent sur des comptes wanadoo.fr ou alcatel-lucent.fr – Wanadoo et Alcatel-Lucent étant des fournisseurs de matériels télécoms, de technologies d’avenir – cela s’apparente plus à de l’espionnage économique. Ce n’est pas là que l’on va trouver un maximum de djihadiste. L’actuel système (PRISM, etc.) n’est jamais que la prolongation du système ECHELON, créé en pleine Guerre froide, qui avait été découvert dans la décennie 90 et qui espionnait beaucoup l’Union européenne (téléphones, mails). Dans les années 90, le péril communiste avait disparu et le péril islamiste n’était pas encore apparu. Il s’agissait donc forcément d’espionnage économique, comme aujourd’hui.
Les attitudes de l’ère Clinton sont donc reprises à la seule nuance que l’on assiste désormais à un mélange des genres : le système tente de tout savoir sur tous les dangers (islamistes, terroristes, cyber-pirates, aujourd’hui ; réchauffement climatique ou partis populistes en Europe, demain). Et il n’y a manifestement pas de limites à ce type de système de surveillance.

A l’heure de la cyberstratégie et de l’émergence de nouvelles technologies, l’affaire des écoutes de la NSA ne témoigne-t-elle pas du fait que l’interception de communication demeure un instrument clé de l’espionnage ?

Absolument. Il faut d’ailleurs bien comprendre ce que l’on appelle interception de communications . Il s’agit, d’une part, d’analyser le contenu des messages, de savoir ce que se racontent les individus afin, par exemple, d’empêcher des complots de terroristes ou de connaître les projets de concurrents économiques. D’autre part, ce gigantesque système, très complexe – qui commence par les câbles sous-marins et se termine avec des fournisseurs d’accès – travaille sur des métadonnées et permet de ce fait de reproduire des graphes sociaux afin de savoir qui s’est connecté avec qui, qui fait partie de tel réseau, qu’il soit djihadiste ou commercial. L’objectif est donc de retracer des réseaux de relations entre les individus afin de pouvoir prévoir demain les mouvements politiques et économiques.
Du reste, derrière tout cela, il y a non seulement le souci d’assurer sa sécurité, d’espionner les concurrents mais également une réelle ambition de tout prévoir. C’est une machine universelle à définir toute les tendances, politiques et économiques, qui concernent les Etats-Unis.

L’Union européenne tente de s’équiper d’outils protégeant les données personnelles afin que cette situation ne se renouvèle pas. Cela vous semble-t-il répondre à la situation ?

C’est une réelle nécessité de s’équiper de matériels sécurisés, pour les routeurs par exemple, et d’une cryptologie efficace. Le seul problème dans cette affaire réside dans le fait que dans l’équipe de l’Union européenne, il faut être certain que tout le monde joue dans le même camp. Il est évident que le Royaume-Uni, qui a signé le pacte UKUSA avec les Etats-Unis dès 1948 pour l’interception des communications, délivre visiblement pour eux de nombreuses informations, notamment prélevées sur les câbles sous-marins.