ANALYSES

Apaisement des relations Iran-Etats-Unis : vers une évolution du contexte régional ?

Interview
18 octobre 2013
Le point de vue de Thierry Coville
Qu’est-ce qui a changé par rapport aux tentatives précédentes d’apaisement des relations entre l’Iran et les Etats-Unis ?

Le contexte est différent car, pour une fois, les deux pays en sont arrivés à la même conclusion : ils ont besoin l’un de l’autre afin de régler un certain nombre de crises régionales et d’atteindre leurs objectifs. Pour autant, les mécanismes sont différents.
En effet, en Iran, les sanctions économiques ont joué un rôle majeur, puisque pesant sur l’économie. Le régime a donc pris conscience de la nécessité de régler la question nucléaire, et pour ce dernier, cela passe par une reprise des relations avec les Etats-Unis. D’autres éléments ont néanmoins joué comme la volonté de changer de politique étrangère après l’épisode d’Ahmadinejad qui a duré 8 ans. Qui plus est, l’élection de Rohani change les choses aussi car il représente un courant modéré en Iran qui a pris plus de poids après son élection et qui souhaite une normalisation de la politique étrangère de l’Iran. Enfin, Rohani représente les aspirations de la société iranienne qui veut plus d’ouverture sur l’extérieur. L’ensemble de ces facteurs font que l’Iran désire négocier avec les États-Unis. D’autant plus que les dirigeants iraniens considèrent Obama comme un partenaire avec qui il est possible de négocier.
Du côté américain, depuis des années émerge une réflexion selon laquelle la politique d’isolement de l’Iran ne fonctionne pas, ce qui a d’ailleurs poussé Obama, dans sa première campagne présidentielle, à affirmer qu’il serait prêt à négocier avec le président iranien. Le problème résidait dans la personnalité même d’Ahmadinejad et dans les manifestations de 2009. Sur le plan de la communication, il ne pouvait donc prendre le risque d’aller négocier avec le président iranien. Il a donc rebroussé chemin et entamé cette politique de sanctions. De plus, cette logique des Etats-Unis selon laquelle il est nécessaire de négocier avec l’Iran pour régler un certain nombre de crises régionales est d’autant plus vraie avec la crise en Syrie. Celle-ci a montré que si les Etats-Unis veulent atteindre un certain nombre d’objectifs, notamment influer sur la région, il faut qu’ils travaillent avec l’Iran. Mais il n’y a pas que la crise en Syrie ; l’Iran apparait comme une variable clé dans beaucoup de crises régionales, notamment en Afghanistan, Irak ou Liban.

Dans quelle mesure la stratégie d’ouverture conduite par Rohani pourrait redéfinir les équilibres régionaux ?

A priori, cela va tout changer. En effet, la quasi-guerre entre l’Iran et les Etats-Unis structurent l’environnement du Moyen-Orient et ce, depuis plus de 30 ans. Cette stratégie d’ouverture pourrait donc remettre en cause certaines alliances, le positionnement de l’Arabie saoudite, voire des monarchies du Golfe, vis-à-vis des pays occidentaux. Qui plus est, cette stratégie inquiète Israël puisqu’il voit son allié principal se tourner vers son ennemi principal. Mais si l’Iran fait cela, c’est qu’il pense manifestement que cela lui permettra de renforcer son statut de puissance régionale auquel il aspire, lequel serait dépendant des relations avec les Etats-Unis. Le régime iranien compte donc accroître son influence dans la région, à travers sa participation au règlement de certaines crises régionales comme en Syrie.
Enfin, cela va modifier, peut-être en bien, les relations entre le Moyen-Orient et l’Occident. L’Iran jouait quelque part le rôle de contre-modèle et des relations plus apaisées pourront révéler une société musulmane bien loin des clichés extrémistes et radicaux communément admis.

Comment est perçu, au sein de l’opinion publique iranienne, cet apaisement des relations avec les Etats-Unis ?
La société iranienne, culturellement, est assez proche de la culture américaine dans la mesure où il y a une diaspora iranienne forte aux Etats-Unis. L’Iran est très connecté avec les Etats-Unis, grâce aux satellites, et la culture américaine est donc très forte dans la société iranienne (intérêts pour les films, la musique, nombreux hauts fonctionnaires ayant fait leurs études aux Etats-Unis, etc.). Il y a donc beaucoup de liens au niveau culturel. Le problème était plutôt sur le plan politique avec un sentiment iranien que les Etats-Unis, depuis la révolution islamique, voulaient un changement de régime. Si le régime est plus en phase avec la société, cela peut favoriser l’appétit de la société iranienne pour des relations plus apaisées avec les Etats-Unis.
Toutefois, il serait faux de dire que le peuple iranien est le peuple le plus pro-américain de la région, car il reste très nationaliste. Et il n’est pas question de revenir à la période du Shah où l’Iran était en quelque sorte dans l’orbite américaine. Il y a néanmoins un appétit de culture américaine très fort.

Que peut-on attendre des négociations qui s’ouvrent à Genève entre la communauté internationale et l’Iran sur son programme nucléaire ?

L’atmosphère a changé. L’idée est de mettre en place une feuille de route avec un échéancier et un accord sur les points principaux – l’Iran veut une reconnaissance de son droit à enrichir l’uranium et l’Occident souhaite des garanties concernant le fait que cet enrichissement ne soit pas à des fins militaires.
Le climat a changé donc, a priori, ces questions paraissent plus faciles à résoudre. Il faudra maintenant voir les modalités techniques, sachant que les autorités iraniennes pensent que cette crise pourrait être réglée dans un an au maximum.

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