ANALYSES

Fin du « shutdown » aux Etats-Unis : et maintenant ?

Interview
17 octobre 2013
Le point de vue de
Le Congrès vient de siffler la fin du psychodrame du “shutdown”. Ce dénouement peut-il être considéré comme une victoire d’Obama et des démocrates sur les républicains ?
Quand on regarde les sondages et l’issue de cette crise, c’est le cas. Obama a obtenu ce qu’il voulait, à savoir faire plier la chambre des représentants républicaine, et l’ensemble des républicains d’ailleurs. Aussi provisoire soit l’accord, il ne remet pas en cause la réforme phare de Barack Obama, à savoir l’Obamacare. C’est un premier point important. Il faut néanmoins distinguer parmi les vaincus du parti républicain.
En apparence, le Tea Party qui était sur la ligne la plus radicale s’est vraiment affaibli après ce shutdown. Un sondage récent montre que même parmi les républicains, le Tea Party est devenu très impopulaire ; à 46 % d’opinions favorables en juin parmi les républicains, il n’est plus qu’à 27 % à l’issue du shutdown. Sa stratégie de blocage a néanmoins fonctionné très longtemps, réussissant à prendre en otage pendant nombre de jours le parti républicain et l’ensemble des Etats-Unis. La figure de Ted Cruz, sénateur du Texas, s’est néanmoins révélée durant cette crise ; il a acquis une surface médiatique qu’il n’avait pas auparavant et qui lui donne des ambitions pour 2016. Je crois que le grand risque pour les républicains est alors d’avoir, contrairement à 2012, un candidat du parti qui se présente contre le candidat officiellement arrêté par le parti. Cela affaiblirait très fortement les républicains.
Obama n’est pas vainqueur sur toute la ligne car il n’a conclu qu’un petit accord pour un temps limité, mais c’est tout de même la Maison Blanche qui peut aujourd’hui se féliciter de cette issue.

L’équilibre de l’économie américaine semble cependant toujours sur la brèche. Quelles en sont les raisons ?
La reprise économique américaine reste effectivement relativement fragile, notamment quand on voit les chiffres du chômage de longue durée. Il n’y a pas véritablement de solutions de sortie du blocage, on a juste reculé le problème car on a jusqu’au 15 janvier pour trouver une solution budgétaire et jusqu’au 7 février pour régler le problème de la dette. On a donc repoussé la solution définitive de quelques semaines seulement, avec un objectif de trouver un compromis budgétaire autour des 13-14 décembre entre les deux Chambres.
Ce n’est pas très rassurant, en particulier en ce qui concerne la solidité du dollar. En effet, s’il y a bien une conséquence que l‘on doit craindre pour l’économie américaine, et peut être même mondiale, c’est tout de même que les grands créanciers des Etats-Unis (la Chine, la Corée du Sud, le Japon) accordent moins de confiance au dollar. C’est le cas depuis quelques semaines et les pays risquent d’être moins enclins à acheter immédiatement des bons du Trésor. Cela aurait pour conséquence d’accroître la dette des Etats-Unis qui auraient plus de mal à faire financer leur économie d’endettement.
Il faudra ainsi observer dans les jours qui viennent le comportement des grands créanciers des Etats-Unis, voir s’ils accordent à nouveau leur confiance. L’un des mots les plus importants de la crise a été selon moi prononcé par l’agence Chine Nouvelle, qui a dit qu’il fallait commencer à songer à se « désaméricaniser », c’est-à-dire à sortir du tout dollar. Quand on voit que cette monnaie est entre les mains d’une poignée de fanatiques de la droite du parti républicain, on peut comprendre cette prise de position, même si la sortie de crise du dollar sera extrêmement lente, et des chocs seraient dommageables pour tous.

Peut-on s’attendre à des changements institutionnels en réaction à cette nouvelle crise ?
Clairement non. Même si Warren Buffett l’évoque ce matin, même si Paul Krugman en parle depuis un moment, je pense que les Américains restent dans une sorte de croyance, presque magique, dans le caractère parfait de leur constitution. Quand il y a un problème, ils considèrent que les personnes au pouvoir ne savent pas utiliser cette constitution parfaite. Les grands débats sur le port d’armes aux Etats-Unis en sont une autre illustration, où l’on n’ose pas toucher au deuxième amendement. Obama a commencé à dire qu’il serait bien que le plafond de la dette puisse être élevé automatiquement, mais cela remettrait en cause les fondements même de la constitution américaine à savoir le « Checks and Balances », les poids et contrepoids, qui selon les Américains permettent d’éviter aux Etats-Unis de sombrer dans une dictature potentielle. Les interrogations vont se multiplier sur la trop forte capacité de blocage du Congrès, mais je pense qu’au final, lorsqu’il s’agira vraiment de voter des évolutions constitutionnelles, les Américains feront comme toujours référence au caractère parfait de la Constitution héritée des pères fondateurs.
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