ANALYSES

La responsabilité des Pays-Bas engagée dans le cadre du massacre de Srebrenica : un précédent historique ?

Interview
10 septembre 2013
Le point de vue de Gaëlle Pério Valero, chercheur associée à l’IRIS
En quoi la reconnaissance de la responsabilité des Pays-Bas dans la mort de trois musulmans de Srebrenica par la Cour de cassation du pays est-elle historique ?

Elle est historique, d’une part, parce que cette procédure a été longue, près de 11 ans, mais aussi parce qu’un État, les Pays Bas, est jugé responsable par un tribunal national pour des actions commises par ses forces armées, sous mandat de l’ONU, dans un cadre d’opérations extérieures. Ce jugement est également historique parce qu’il s’inscrit dans la longue quête de justice des victimes du génocide de Srebrenica. La plupart des protagonistes ont été questionnés : l’ONU bénéficie d’une immunité juridique ; les criminels de guerre, avec au premier rang, Ratko Mladic, sont actuellement traduits en justice par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Il restait alors à établir la responsabilité du DutchBat, le bataillon néerlandais composé d’environ 450 hommes qui devaient assurer la sécurité de l’enclave, zone déclarée protégée par l’ONU dès 1993. Elle était peuplée au moment du génocide le 11 juillet 1995 d’environ 60 000 personnes assiégées depuis trois ans et qui se trouvaient dans un terrible état de délabrement physique et de malnutrition. Il ne faut pas oublier que le DutchBat, des soldats de métier, ne s’est pas du tout interposé entre le millier de combattants bosno-serbes et la population de Srebrenica. Aujourd’hui, on estime à plus de 8 000 le nombre de personnes tuées durant ces jours de juillet. Les victimes ont été généralement des hommes entre 13 et 70 ans. Les femmes ont, quant à elles, pour la plupart été déportées dans une autre ville. Je dis « disparus » car dix-huit ans après, il reste encore des corps qui n’ont pas été retrouvés ou identifiés. Le travail de deuil des familles est donc particulièrement difficile et les conséquences dans leur vie quotidienne encore très concrètes.

Cela pourrait-il constituer un précédent quant aux autres nations et leur éventuelle responsabilité dans le massacre de Srebrenica ?

Je ne le pense pas. Il s’agit d’une procédure de justice qui a été longue et complexe et qui ne concerne que trois victimes qui étaient dans des situations très particulières car directement liées au DutchBat. C’est ce qui a permis que les faits puissent être clairement établis. Il faudrait donc pourvoir convaincre d’autres tribunaux sur la base d’éléments juridiques incontestables. D’ailleurs, il faut saluer ici le courage des magistrats hollandais qui ont épinglé leur propre Etat et osé questionner l’honneur de leur propre armée.

Quelle est aujourd’hui la situation en Bosnie et comment le pays se positionne-t-il vis-à-vis des autres pays des Balkans ?

La situation de la Bosnie-Herzégovine aujourd’hui reste complexe. Le pays reste profondément divisé depuis la guerre, enlisé dans un fonctionnement institutionnel inadapté qui date de 1995 et des accords de paix de Dayton. Cette situation qui devait être provisoire a perduré, alimentant le clivage ethnique, la corruption et le clientélisme et ce, malgré une présence de monitoring international constante. L’intégration européenne du pays est au point mort et c’est malheureusement un des pays les plus à la traîne de toute la région. Par ailleurs, les anciennes lignes de front délimitent encore les frontières entre les trois entités : bosniaque, croate et serbe. Ainsi, Srebrenica, autrefois à majorité musulmane, se trouve aujourd’hui en République serbe de Bosnie.