ANALYSES

La situation en Tunisie : un état de fait ?

Interview
4 septembre 2013
L’assassinat de Mohammad Brahimi le 25 juillet dernier a conduit à une exacerbation des antagonismes politiques en Tunisie. Comment a été accueillie la récente proposition de sortie de crise de la coalition gouvernementale ?
Elle a été accueillie diversement. D’abord parce que la plus part des protagonistes de cette crise ne sont pas tous d’accord sur la démarche à adopter. En effet, y a deux grandes tendances au sein de l’opposition. D’une part, une tendance favorable à un départ sine die de l’actuel gouvernement ainsi qu’à une dissolution de l’Assemblée nationale constituante. D’autre part, une tendance, toujours au sein de cette opposition, qui estime qu’il ne faut pas prendre le risque de destituer le gouvernement et de dissoudre l’Assemblée, sous peine de provoquer un chaos institutionnel dans le pays ce qui serait extrêmement grave et dommageable pour celui-ci. Il n’y a donc pas de tendance lourde qui se soit dégagée si ce n’est celle de ceux qui pensent que quoi qu’il arrive il n’y a plus rien à discuter ni à négocier avec le parti majoritaire islamiste Ennahda.
Ainsi, pour le moment, les forces politiques du pays ne sont pas parvenues à un compromis sur le fonctionnement des institutions et la manière de sortir de cette crise, qui dure maintenant depuis plusieurs mois. Par conséquent, la Tunisie se trouve non plus dans une situation de crise mais dans une situation de fait. Qu’il s’agisse de l’opposition ou de la majorité, la troïka gouvernementale, chacun gère la crise comme il le peut.

Quel est l’impact de l’environnement régional sur la situation sécuritaire en Tunisie, notamment au regard de la montée en puissance de groupes djihadistes ?
La Tunisie n’est pas isolée dans un monde qui serait hostile. Il y a des voisins qui sont inquiets, comme l’Algérie, et des voisins qui sont inquiétants comme la Libye ou l’Egypte. Concernant ce dernier, certes, le voisin de l’Est est plus éloigné géographiquement parlant, mais il est avant tout le géant du monde arabe. Or, la Tunisie est un tout petit pays qui n’a aucune profondeur stratégique et qui n’a jamais cherché à jouer un rôle sur la scène internationale sur les questions diplomatiques. C’est donc un pays qui a peu de ressources et la crise politique se double d’une crise économique et sociale ce qui fait que le pays devient lui aussi, d’une certaine manière, préoccupant. A cet égard, l’Algérie s’inquiète de voir que l’Etat n’est pas en posture de faire face aux violences qui se déroulent déjà depuis plusieurs mois dans le Nord-Ouest du pays, sur le Mont-Chaambi, et qui ont provoqué une intervention directe de l’armée algérienne dans cette région, l’armée tunisienne n’ayant pas les capacités de réagir. Les combats se poursuivent, ils sont sporadiques et en rien spectaculaires, impliquant quelques centaines de djihadistes seulement. Toutefois, compte tenu de ce qui se passe à la frontière Sud-Est avec la Libye, la circulation d’armes, de groupes (dont on se sait plus très bien s’ils sont mafieux, islamistes, terroristes ou autres), cela contribue à faire de ce pays une sorte de zone grise au sein de laquelle tous les trafics sont permis. Et l’affaiblissement de l’Etat laisse encore de beaux jours à l’expansion de ces réseaux criminels, qu’ils soient terroristes ou mafieux.

Alors que le soulèvement du peuple tunisien est à l’origine de ce qu’il est désormais commun de nommer « les Printemps arabes », les revendications d’ordre économique et social ont-elles trouvé un écho auprès des élites politiques ?

Oui et non. Tout le monde est très sensible, notamment dans le monde des affaires, à la question économique parce qu’elle est absolument vitale. La montée du chômage provoque aussi une exaspération sociale et il est impossible de dire comment la situation pourrait évoluer. Finalement, personne ne prend en charge cette question du redressement économique du pays. Il n’y a pas vraiment de propositions, pas de discours de la part des partis, notamment ceux de l’opposition, ni aucune réelle action menée par le gouvernement. Ce dernier est faible, affaibli par la crise et affaibli par les différents coups de boutoir à la fois de l’opposition et des groupes terroristes.
Mais la question économique demeure centrale. Aujourd’hui, en Tunisie, les partis d’opposition qui n’ont pas réussi à trouver des points de convergence entre eux pour agir risquent d’être probablement dépassés s’il y a un vrai mouvement social. C’est donc certainement sur ce terreau que pourrait se produire une nouvelle explosion, comme elle s’était d’ailleurs produite à l’hiver 2010-2011, en partant des bassins miniers de Gafsa (gros pourvoyeurs de main d’œuvre) et en gagnant les régions pauvres et défavorisées de l’intérieur du pays, comme la région de Sidi Bouzid.
A nouveau, c’est moins pour des questions politiques que pour des questions économiques et sociales que les Tunisiens pourraient se mobiliser.